La Biennale de la danse de Lyon ouvrira ses portes, aura lieu du 6 au 28 septembre (jusqu’au 17 octobre en région). Son directeur nous parle de cette fête entre tendresse et résistance
Pour cette Biennale, j’ai suivi deux approches. La première, c’était l’approche de l’héritage. La Biennale de la Danse existe depuis les années 80, et elle a une mission très précise qui est de présenter la grande diversité de la danse contemporaine aujourd’hui. Concrètement, cela signifie qu’il n’y a pas de thématique générale mais plutôt des portes d’entrée. La mission principale de la Biennale de la danse Lyon reste la création. Cette année, nous avons 40 spectacles, dont 24 créations, soit mondiales, soit françaises. L’idée est de pouvoir explorer réellement cette diversité.
J’avais aussi envie de diversifier les portes d’entrée par rapport aux différents publics. Jusqu’ici, la Biennale était très concentrée sur les spectacles et les créations. Moi, je travaille avec plusieurs portes d’entrées, comme la formation par exemple. Cette année, nous avons renforcé tout ce qui concerne les rencontres des artistes avec les professionnels : des ateliers, des masterclasses, un grand programme de formation avec le CNSMD de Lyon.
Il y a aussi toute la partie réflexion, avec des tables rondes, à partir d’un grand nouveau projet qui s’appelle le Forum. Et puis, bien sûr, la partie participative, qui a toujours été remarquable dans la Biennale. Donc voilà, la ligne directrice ce serait : spectacle, formation, réflexion, et participation.
Notre partenariat avec la Saison Brésil-France s’appelle Brasil Agora . L’idée d’Agora,qui veut dire « maintenant », mais aussi « le lieu où on parle, où on réfléchit », m’intéresse beaucoup. On a choisi des spectacles qui dansent mais aussi qui donnent à réfléchir. La scène contemporaine brésilienne est très diverse. Nous avons décidé de faire un mélange entre des grands formats, avec Lia Rodrigues, qui a un travail très engagé, mais aussi par exemple avec Alejandro Ahmed par exemple, très peu vu en France, mais qui est un énorme artiste (il dirige le ballet de Sao Paulo). L’idée est de remettre en question cette image réductrice d’un Brésil cantonné aux danses de rue et aux spectacles de carte postale. Le Brésil, c’est bien plus que cela : un pays aux multiples couches, où émerge une scène artistique innovante, portée par une véritable réflexion technologique.
On a donc décidé de faire un week-end inaugural pour lancer des pistes sur tout le reste de la Biennale. Il y aura des spectacles dans l’espace public, le spectacle de Volmir Cordeiro ; une création en France ; le spectacle Borda de Lia Rodrigues et une installation d’Esther Salomon en partenariat avec le Centre Pompidou. Et puis le dimanche, le grand défilé, de la place des Terreaux à la place Bellecour, qui se terminera avec un grand spectacle participatif de Mehdi Kerkouche, 360.
Oui, parce que le défilé marque l’histoire de la Biennale. La première édition du défilé date de 1996. Dans les années 90, la Biennale avait souvent des thématisations géographiques : il y a “0 ans il y a eu une édition Brésil, dont l’édition 2025 est un clin d’œil. C’est dans ce contexte-là qu’est née l’idée du défilé : inviter un bloc de samba, avec des musiciens, dans les rues de Lyon. C’était un projet artistique. Et ça a été un tel succès que la Biennale a gardé le défilé, en l’adaptant chaque année à des thématiques et des contextes différents : il y a eu une édition Afrique, Asie (La Route de la soie), Amérique, où tous les grands noms de la danse américaine sont passés.
Cette année, l’approche du défilé, c’est les danses recyclées. L’idée est de regarder les danses de société existantes- les danses de couple, la samba, salsa mais aussi les danses de gym, par exemple, et de les transformer , de les recycler, dans une grande parade chorégraphique qui relie les deux grandes places du centre-ville, de la place des Terreaux à la place Bellecour. Ensuite, j’ai invité Mehdi Kerkouche, pour son travail à partir des danses populaires- les danses qui accompagnent les musiciens, que l’on voit tous les jours à la télé. C’était un bon match avec ce que les huit groupes préparent. Ça se terminera donc avec un grand dancefloor collectif à Bellecour. Le samedi, il y aura aussi un collectif de DJs brésiliens, installés à Lyon, pour animer la fête.
Pour moi, la fête est un grand lieu de démocratisation. Elle permet de casser cette idée que la danse serait trop élitiste. Au contraire, tout le monde danse. La danse, c’est simple, c’est populaire. Notre Club de la Biennale, ce sont des soirées programmées par une collègue, Rose-Amélie Da Cunha, et organisées avec différents partenaires. Nous avons gardé le nom Bingo, que j’aime beaucoup. À l’origine, en 2023, nous étions dans les usines Fagor, où il y avait un grand tag qui disait « Bingo ». Ça nous a inspirés. Et c’est devenu notre marque de soirées de la Biennale.
La Biennale se déroule dans la métropole lyonnaise, à Lyon et dans les villes autour, et même un peu en région, avec le programme Rebond. Certains projets voyagent dans d’autres villes : Clermont-Ferrand, Annecy, d’autres grandes villes de la région. A Lyon, nous investissons tous les théâtres, mais aussi des lieux en transformation de la métropole. Une mouvance d’occupation des lieux qui va se transformer au fur et à mesure. En 2023, nous étions aux usines Fagor, d’anciennes usines d’électroménager. Cette année, nous occupons les grands locaux de la Buire, un ancien site SNCF de construction de trains. C’est un lieu immense, qui accueille aussi la Biennale d’art contemporain et les Nuits sonores. Nous y présentons des projets spécifiques inédits, pensés pour cet endroit : une nouvelle version de Crowd XXL de Gisèle Vienne, la création mondiale de Marco da Silva Ferreira (Fucking Future), une journée entière au stade dédiée aux pratiques du hip-hop et du voguing, et une création du Collectif AR, qui mélange danse, son et lumière. Ce sont des projets spécifiques et pensées pour cette magnifique halle.
Pour le Forum, c’est l’édition pilote. C’était une idée que j’avais déjà au moment de ma candidature, il y a trois ans. La Biennale est un grand événement à l’échelle internationale, mais très eurocentrée. Je pense qu’elle doit donner de la visibilité à d’autres façons de faire, d’autres façons de regarder le monde, d’autres façons d’inscrire le corps dans d’autres territoires. Je voulais le faire en complicité avec des collègues et des artistes, et notamment avec des collègues extra-européens.
J’ai donc invité cinq curateurices : de Taïwan, Melbourne, Maputo, Rio et New York. Pour moi, c’est très important que la Biennale soit un cadre pour d’autres projets artistiques que j’invite, mais qui peuvent aussi me surprendre. Chacun de ces curateurs a pensé une thématique. Les thèmes sont très divers : par exemple, la curatrice des États-Unis a invité un artiste, infirmier et chorégraphe, et qui travaille autour du soin et des questions somatiques ; les Australiens travaillent autour de l’écologie ; les Brésiliens autour des corps noirs et des marges.
Les cinq thématiques sont très différentes, et elles se déclinent à la fois en spectacles, en expériences participatives et en conférences. Il y aura par exemple une conférence avec Françoise Vergès, politologue sur les questions des terres contestées et des territoires. Il y aura donc des interventions européennes, mais aussi pensées par des artistes et des curateurs non-européens. Je voulais avoir ces perspectives qui sont différentes sur la relation au temps, à l’institution, à l’argent. Un artiste qui travaille en Amazonie n’a pas la même expérience qu’un artiste à Bruxelles par exemple. La Biennale doit être ce cadre qui permet de donner ces autres perspectives, artistiques et chorégraphiques. Ce Forum, c’est un essai. Pour les professionnels, mais ouvert à tout le monde.
Il se tiendra à l’Hôtel-Dieu, dans la Cité internationale de la gastronomie, au centre de Lyon. Ce sera un lieu de vie, avec restauration, un café de la Biennale, des grandes tables, un endroit où les gens peuvent se rencontrer, se poser, discuter.
Cette édition est vraiment marquée par les partenariats. Nous travaillons avec une vingtaine de partenaires : le Festival d’Automne, dans le cadre de son centenaire ; la Saison France-Brésil ; des lieux de fête à Lyon pour les soirées ; le Centre Pompidou, avec qui nous avons quatre projets. Ca a transformé la Biennale en un projet beaucoup plus partagé, avec beaucoup plus de partenaires. La Biennale s’anticipe au moins deux ans et demi à l’avance. Nous travaillons déjà sur des projets pour 2027. Nous collaborons avec d’autres festivals et théâtres pour organiser des tournées. Par exemple, une création peut naître au festival de Bâle, être reprise à La Bâtie, venir chez nous, puis aller au Festival d’Automne. C’est ce qui se passe aussi avec Lia Rodrigues.
Parfois, certains projets sont pensés dès l’origine ensemble, comme celui de Tânia Carvalho autour du centenaire de Pierre Boulez, co-conçu avec le Festival d’Automne, les conservatoires, des danseurs et musiciens. La pièce se crée chez nous et part ensuite à Paris, au Musée d’Art moderne.
Les partenariats sont devenus nécessaires, aussi à cause des coupes budgétaires. Comme tous les grands projets artistiques, nous avons subi des réductions de financement. Les contraintes financières nous ont obligés à développer davantage de partenariats, mais pour moi, c’est quelque chose d’assez organique. J’adore travailler avec d’autres, partager. Ça donne à la Biennale un corps collectif, et ça l’ancre encore plus dans les réseaux locaux, nationaux et internationaux.
Du 6 au 28 septembre à Lyon et en métropole, jusqu’au 17 octobre en région
Visuel : ©Blandine Soulage