Les témoignages sont glaçants. Dans une enquête publiée le 30 novembre sur Mediapart, plusieurs femmes, dont certaines étaient encore mineures au moment des faits, se livrent sur les violences sexuelles qu’elles ont du subir au Théâtre du soleil. Ariane Mnouchkine, célèbre metteuse en scène et fondatrice du lieu, reconnaît avoir été au courant de certaines de ses affaires.
Voilà de quoi ternir l’image déjà bien écornée du théâtre du soleil. Oui, le ciel s’assombrit encore un peu plus au-dessus de la tête de La Cartoucherie, loin de son image populaire, accueillante et humaniste. En mars dernier, déjà, l’intervention de la comédienne Agathe Pujol devant la commission d’enquête de l’assemblée nationale sur les violences dans la culture avait fait l’effet d’une bombe. Elle avait révélé, à cette occasion, avoir été victime d’une tentative de viol en 2010 par un comédien de la troupe et avait décrit une « pression sexuelle constante » exercée par des comédiens. En réaction, le théâtre du soleil avait exprimé sa sidération et lancé une enquête interne dans la foulée.
En parallèle, les journalistes de Mediapart ont lancé leur propre enquête et leurs révélations sont pour le moins effarantes. Mais il faut en revenir au commencement. Quelques jours après l’audition d’Agathe Pujol, deux comédiens font rapidement leur valise et quittent discrètement le terrain de la cartoucherie pour ne plus jamais y revenir. Qui sont-ils ? Farid Gul Ahmad et Sébastien Brottet-Michel, et ils sont aujourd’hui accusés tous deux d’avoir abusé de jeunes filles et de femmes pendant au moins une quinzaine d’années mais ils nient les faits. Farid Gul Ahmad à répondu que des « fausses accusations » avaient été portées contre lui en affirmant que les faits avaient été « déformés » tandis que l’avocate de Sébastien Brottet-Michel, Maia Kantora, a précisé quant à elle que son client « conservait pour l’institution judiciaire ses explications, si une procédure devait être engagée »
Dans cette enquête, huit personnes, anciennes salariées ou bénévoles du théâtre, dénoncent des violences sexuelles allant du harcèlement au viol pour trois d’entre elles. Parmi les nombreux témoignages, il y a celui de Julie, bénévole pour la compagnie au début des années 2010. Cette dernière a porté plainte contre Sébastien Brottet-Michel en 2021 pour corruption sur mineure. Les faits ont ensuite été requalifiés en viol sur mineur pendant l’instruction car selon elle, le comédien lui aurait « imposé une pénétration […] et des attouchements par surprise dans les coulisses du théâtre » alors qu’elle était âgée de 15 ans. Elle dénonce plus généralement un système de manipulation et de prédation instauré par le comédien de 23 ans son aîné. Il lui aurait notamment imposé des relations sexuelles dans des lieux publics. En 2023, l’enquête a été classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée mais elle se prépare à nouveau à déposer plainte avec constitution de partie civile.
La plupart des victimes ont déclaré ne pas avoir osé se plaindre à Ariane Mnouchkine. Il faut dire que Sébastien Brottet-Michel, membre de la troupe depuis une trentaine d’années, est présenté comme son “protégé”. D’autres membres de la troupe témoignent également sous anonymat. Céline évoque des mains aux fesses, des actes sexuels mimés sur son corps et des exhibitions endurées lorsqu’elle était jeune comédienne entre 2010 et 2012. Louise, en poste à l’administration, dénonce des propos déplacés glissés de manière récurrente à son oreille entre 2017 et 2020, ainsi que des gestes inappropriés. Aucune des deux n’a osé parler à Ariane Mnouchkine. Sébastien Brottet-Michel a répondu à ces accusations que des « attitudes familières à la vie de troupe pourraient sembler déplacées hors de leur contexte ».
Dans un communiqué publié ce mardi 3 décembre, le Théâtre du Soleil a réagi aux accusations. S’il ne nie pas la gravité des crimes dénoncés, il récuse fermement ce qu’il qualifie « d’allégations infondées de sectarisme » et « d’abus systémiques ». Le Théâtre du Soleil estime que certaines accusations visent davantage à la détruire qu’à éclairer la situation des victimes. En réponse à ce communiqué, Agathe Pujol dénonce leur stratégie de communication qui selon elle, se présente en victime d’une « atteinte à leur honneur » et ajoute que « le sujet n’est pas leur honneur. Le sujet, ce sont nos vécus ». Face aux nouvelles révélations, le ministère de la Culture a demandé le 3 décembre qu’un audit « extérieur et indépendant » soit mené au sein du Théâtre du Soleil et qui doit débuter mi-décembre.
Visuel : © Michèle Laurent