« The Ugly Stepsister » d’Emilie Blichfeldt : Pour un flirt avec toi…

Il était une fois, dans un royaume vieux comme le monde où la beauté règne en maître, une jeune femme au sourire d’acier et à la soi-disant bosse au nez répondant au rugueux prénom Elvira (Lea Myren). Amourachée à sens unique du prince Julian (Isac Calmroth) et de ses poèmes tout juste passables, elle doit faire face à une concurrence redoutable pour espérer conquérir le cœur du jeune souverain lors du bal. Parmi la flopée de prétendantes, se trouve notamment Agnes (Thea Sofie Loch Næss), sa demi-sœur à la crinière dorée et à la beauté ravageuse. Afin de parvenir à ses fins, Elvira va alors avoir recours aux méthodes les plus extrêmes pour transformer son corps et tenter de remporter l’impitoyable course au physique parfait.

Pour son passage au format long, Emilie Blichfeldt se réapproprie avec brio la version culte de Cendrillon des frères Grimm. Exit le manichéisme vu et revu des versions Disney de 1950 et 2015, la jeune réalisatrice norvégienne change de point de vue et met l’une des « affreuses demi-sœurs » au centre de son adaptation, lui insufflant pour l’occasion une complexité plus que bienvenue. En prenant l’adage « Il faut souffrir pour être belle » à bras le corps, Emilie Blichfeldt, et son ironie délicieusement cruel, entend bien mettre à mal la tyrannie de la beauté et l’impact monstrueux de celle-ci sur les femmes.

Beauty Horror

Malgré son budget serré, The Ugly Stepsister peut compter sur son esthétique aussi vénéneuse que laiteuse pour déployer toute la portée onirique et putrescente de son récit. À travers un travelling latéral sur un banquet éclairé à la bougie ou un plan fixe serré sur le visage de son héroïne dans une forêt brumeuse, le chef opérateur danois Marcel Zyskind plonge le spectateur dans un film qui semble tout droit sorti du cinéma européen de l’Est des sixties. Un univers visuel bluffant qui n’est pas sans rappeler le travail entre ombres et lumières déjà remarquable de Marcel Zyskind dans le drame bergmanien La Dernière Nuit de Lise Broholm (2021), réalisé par Tea Lindeburg. A cette imagerie faussement enchanteresse à la typographie rose bonbon, qui oscille régulièrement entre les univers de Cronenberg et Argento, Emilie Blichfeldt y ajoute une bande originale aussi flottante qu’électro qui finit de pimper cette farce barbare sur les standards de beauté aléatoires imposés à la gente féminine, et les sentiments ambigus qui en découlent, entre jalousie et admiration.

Dorsum nasal fracturé pour mieux être réduit, paupières percées pour y coudre des cils de poupée, gobage en bonne et due forme d’une bestiole pour accélérer son régime… Elvira n’épargne ni son corps, ni le spectateur. Terrain de jeux malsains du Dr. Esthétique (Adam Lundgren), de ses professeurs de bonnes manières et de sa génitrice, la jeune femme s’embarque dans une initiation morbide qui suscite l’empathie et le malaise. Et si la réalisatrice tombe parfois dans le surplus bien crado de body horror, la force du film se trouve surtout dans le traitement de son héroïne, que la réalisatrice ne capture jamais en victime face à ce déferlement de sauvagerie au nom de la beauté. Ni chimère, ni super-woman, la crédule Elvira fonce tête baissée pour espérer voir son rêve se réaliser, sous la houlette d’une mère (glaçante Ane Dahl Torp) prête à tout pour éponger ses dettes. Conte macabre sur de jolies princesses amochées par la société patriarcale, The Ugly Stepsister revisite avec intensité la légende aujourd’hui cabossée de Cendrillon. Un premier long fascinant, dont l’âpreté des propos et son enveloppe formelle captivent jusqu’à son acte final.

The Ugly Stepsister d’Emilie Blichfeldt. Avec Lea Myren, Thea Sofie Loch Næss, Ane Dahl Torp, Flo Fagerli… Norvège, Suède, Pologne, Danemark. 01h45. Interdit aux moins de 16 ans. Sortie le 2 Juillet 2025.