Dans The Sweet East, le chef opérateur Sean Price Williams revient à la réalisation avec un deuxième long-métrage. Dans cet Alice aux pays des merveilles contemporain, S. Prince Williams s’appuie sur la forme du conte pour en faire un récit moderne et contemporain : en racontant l’histoire de Lilian, une jeune fille de 17 ans que la solitude et la mélancolie vont rendre entraîner sur des routes sinueuses : au fil des rencontres, les personnages projettent sur elles des désirs jusqu’à ce qu’elle en oublie les siens, se fondant dans les autres, se détachant d’elle-même. Mais la poésie de cette errance n’a rien de léger : l’interprétation de Talia Ryder (Do Revenge, Never, Rarely, Sometimes, Always) fait de Lilian un personnage complexe, ambivalent, dans lequel chacun peut y retrouver quelque chose de soi et de sa solitude. Dans notre entretien avec la jeune actrice, nous sommes revenus sur le tournage, et l’écriture de son personnage, qui s’est fait dans la complicité du réalisateur et du scénariste. De nouvelles relations entre réalisateurs et acteurs, avec moins de hiérarchie, seraient-elles possible ?
Je suis arrivée sur le film assez banalement. Mon agent m’a envoyé le script et j’ai voulu rencontrer Sean tout de suite. J’ai directement été emporté par le scénario et le personnage de Lilian. J’ai immédiatement pensé qu’on s’entendrait très bien et qu’on avait le même sens de l’humour.
C’est un projet qui m’a beaucoup intéressé car Lilian porte l’histoire. Et je crois que j’ai aimé que Nick dans son écriture laisse beaucoup de place à celle qui allait la jouer. Il y avait beaucoup de choses non écrites. Et je n’aime pas être dirigée (rires). J’aime bien faire ce que je veux, et The Sweet East était un défi car c’était un film où je pouvais créer Lilian entièrement à mon image et décider ce que je voulais lui donner de moi ou pas. C’était vraiment une belle opportunité pour écrire un personnage. J’ai aussi beaucoup aimé le fait qu’elle ne soit pas si sûre d’elle. Il y a quelque chose de très confus et fragile chez ce personnage, je me suis identifiée à elle et ça ce qui m’a touchée.
Oui, c’est absolument l’histoire d’une comédienne, d’une performeuse. Lilian est sans cesse en train d’interpréter un rôle, c’est comme ça qu’elle arrive à grandir, et c’est ce qui l’excite. La seule fois où elle ne fuit pas, je crois, c’est quand elle est sur le tournage et qu’elle travaille comme actrice justement. Je crois que c’est le seul moment où elle se sent à sa place.
Et comme Lilian, je déteste avoir un téléphone portable. Je l’ai quand je suis à Paris pour me repérer, mais à NY, je ne l’utilise jamais. Il y a quelque chose d’un peu old school chez Lilian en quelque sorte, dans sa manière d’être au monde qui me ressemble. On aime toutes les deux l’aventure. C’est ce qu’on a en commun pour moi. Une manière de vivre : c’est aussi un loup solitaire. Elle ne ressemble et n’est proche de personne, ni dans sa ville natale, ni dans sa famille, ni dans des ami-es ou ses camarades de classe. Je me considère aussi comme un loup solitaire, même si j’ai de la chance d’avoir des ami-es et de la famille qui m’inspirent et me motivent beaucoup. Je crois que c’est ce que Lilian cherche durant tout son voyage : essayer de trouver des gens qui l’inspirent.
Le scénario état très très écrit, plein d’humour. Il y a eu une scène où il y a eu pas mal d’improvisation, avec Jeremy O. Harris et Ayo Edebiri. Les deux étaient géniaux, et il y avait une vraie alchimie entre eux. Quand on était tous les trois sur le plateau, on ne suivait plus du tout le script et on faisait un peu ce qu’on voulait (rires). Mais sinon c’était très écrit.
J’ai aussi aidé pour le casting de certain-es comédien-nes, d’ailleurs, je suis créditée au casting aussi dans le générique ! Même jusqu’au montage, j’ai senti que Sean et Nick prenaient en compte mon opinion. On racontait la même histoire, mais le film avait un sens vraiment différent pour chacun d’entre nous. Et ils prenaient vraiment en compte mon interprétation. Les points que je trouvais importants, je pense qu’ils les ont accentués. J’ai été beaucoup plus impliqué dans ce film que dans mes films précédents. Je sens que là, mon rôle dans le film est allé au-delà de juste « actrice ». J’aimerais écrire et réaliser un jour, et ça allait dans ce sens, c’était extrêmement enrichissant.
Sean m’a montré beaucoup de films de DEnis Hopper pendant la préparation : Easy Rider, Out of The blue, ou encore Panic in the needle park de Jerry Schatzberg. Juste avant de tourner, on a aussi regardé Hail the News Puritan de Charles Atlas. C’est une comédie musicale super drôle, dont il voulait qu’on s’inspire pour le ton humoristique du film. Sean ne voulait surtout pas que son film se prenne au sérieux.
J’ai aussi beaucoup pris appui sur mon expérience personnelle : j’ai essayé de retrouver des moments, des endroits où je me sentais comme elle. Je crois que quelque chose qui m’a vraiment parlé dans le scénario bizarrement, c’est sa relation au début avec son petit copain Troy. Mon interprétation, c’est que beaucoup de son voyage, de son périple, viennent de ce point de départ : se prouver à soi-même qu’elle est plus que la simple petite amie de ce garçon qui joue avec elle. Finalement, elle a juste 17 ans. Moi, j’avais 19 ans quand on a tourné, mais j’ai souvent été dans des situations comme Lilian, à aimer quelqu’un très fort alors que ce n’était pas réciproque par exemple. Donc, je crois que oui, ce voyage et tout ce qu’elle fait, agit surtout comme catalyseur pour elle… Je ne crois pas que Sean et Nick aient pensé à ça dans ce sens-là, mais j’aime bien cette version : elle fait tout ça pour oublier son crush. Ça rend aussi l’histoire aussi beaucoup moins sérieuse et plus drôle.
Il y avait aussi beaucoup de références dans mon rapport au fait d’être filmée que j’ai ajouté de moi-même aussi. J’aime beaucoup entretenir ce rapport ambigu entre mon personnage et la caméra, comme dans Beautiful Girls de Ted Demme, avec Natalie Portman, qui est un film que j’adore. Quand on pense par exemple au male gaze et à qui regarde qui, j’aime bien le fait que Lilian soit très consciente de ça. Du regard qu’on pose sur elle, que ce soit les autres personnages ou le spectateur, qu’elle s’en amuse en jouant avec la caméra.
(rires) Ça a sûrement été ma seule hésitation avant d’accepter ce film. Je me disais que j’aurais aimé qu’il y ait plus de femmes qui travaillent sur ce film. Surtout que j’ai déjà travaillé sur des tournages où je me suis vraiment sentie silenciée et toute petite, pas prise au sérieux à cause de mon genre et de mon âge. Je l’ai dit à l’avance à Sean et NIck que c’était absolument important pour moi. Je savais que ces situations m’étaient déjà arrivées suffisamment de fois pour savoir que que je n’arriverais pas à le gérer, et que s’ils n’étaient pas prêts à me faire une place dans leur duo pour qu’on travaille en trio, je ne pourrais pas faire le film, je n’y arriverais pas. Ils m’ont dit d’accord et je leur ai fait confiance.
Sur le tournage, on ne m’avait jamais donné autant de pouvoir et d’autonomie, et Sean a été très respectueux et il me laissait décider là où je voulais aller aussi. On travaillait réellement ensemble.
Je viens de présenter un film au Sundance Festival, The Little Death, il devrait sortir bientôt aux États-Unis et peut-être en France ! C’est un film que j’avais tourné en même temps que The Sweet East, qu’on avait tourné en deux parties (une en hiver et l’autre en été).