Tempête du Collectif du Prélude, c’est évidemment (un peu) la pièce de Shakespeare, c’est aussi un dispositif autour pour donner à voir un collectif de comédien·nes bravant les imprévus et les intempéries de tous ordres, métaphores de l’état du monde. Drôle, survolté, intelligent, solidaire : du théâtre de rue pur jus, les ventilateurs en plus, ce qui est bien agréable dans la chaleur du festival Chalon Dans La Rue.
Ce que l’on voit, tout de suite, en entrant dans la cour de l’ancien hôpital de Chalon-sur-Saône, c’est le mur de ventilateurs qui fait face au public. Un dispositif assez impressionnant, avec des plateformes sur lesquelles les comédien·nes pourront se tenir, deux ou trois rambardes, et suffisamment de pâles pour créer un bon souffle. En attendant que la tempête ne se déchaîne, les membres du collectif sont dispersés dans le public, s’invectivent, jouent à élire la·le spectateurice du jour, en fonction de critères qui politisent tout de go le propos : politiques publiques de la culture indigentes, programmateurices timoré·es, journalistes à l’influence démesurée, tout le monde en prend pour son grade, et on malmène gentiment au passage quelques clichés liés au public du théâtre de rue – mais les blagues d’initié·es restent suffisamment peu nombreuses pour qu’il n’y ait pas d’exclu·es.
Cette entrée en matière annonce la suite de la dramaturgie : certes, il y aura l’intrigue resserrée et quelques répliques bien choisies de la pièce de Shakespeare, mais il y aura aussi une troupe face à sa propre tempête : les sous qui manquent, l’électricité qui se coupe, les effets spéciaux qui foirent… Mise en abîme et double niveau de lecture, dispositif brechtien consistant à interrompre la fable pour retourner au présent de la représentation et réinstituer les comédien·nes en tant que tel·les pour inciter les spectateurices à les dissocier de leur rôle… du classique mais bien amené. Cela permet de conserver un fil politique : comment, dans quelles conditions, pourquoi faire du théâtre de rue quand tous les vents sont contraires ? Au premier degré, cela permet aussi de simuler l’accident et d’offrir le prétexte à quelques situations assez burlesques.
La pièce s’ouvre sur l’appareillage du bateau transportant le duc de Milan et la reine de Naples, habilement détourné·es en riches jet-setteur·euses méprisant·es qui prennent congé de la plèbe chalonnaise. Prospero dépêche le génie Ariel pour causer la fameuse tempête, les ventilateurs tournent à plein régime puis lâchent, l’accident arrive mais la pièce continue coûte que coûte. On note au passage que certains personnages on changé de genre – Prospero est une femme par exemple – sans que cela ne gêne en rien la pièce et sans que des effets en soient particulièrement tirés d’ailleurs. Le couple Miranda-Ferdinand est néanmoins préservé – une petite concession au conformisme, en choisissant de maintenir au milieu d’une réécriture qui dépote cette histoire de coup de foudre improbable et le happy end associé ?
En tous cas, les attentes au niveau du jeu ne sont pas déçues : le Collectif du Prélude est fait de très bon·nes comédien·nes, qui connaissanet leur affaire. On peut citer Fanny Imber qui tient une Prospero très convaincante, capable de très belles tirades, et son compère Maxime Coudour qui campe un Ariel fantasque et déchaîné – avec quelques sorties de personnage réjouissantes, la moindre n’étant pas la façon dont il joue l’invisibilité du génie. Toute la distribution a ses moments d’éclat, et tient mieux que bien la route. Il n’est pas toujours facile de jouer l’accident et la représentation qui dérape, mais la troupe s’en sort bien la plupart du temps, et le rythme du spectacle, soutenu, les aide à franchir les bosses. En rue, les ventilateurs produisent un sacré effet sur les premiers rangs, mais la majorité du public reste plutôt bien coiffée. Après une fausse fin, la scène finale semble presque être de trop, difficile à raccommoder au reste du spectacle, mais cela n’empêche pas la standing ovation.
Cette Tempête laisse un souvenir ébouriffant, la nette sensation d’avoir traversé un beau moment de théâtre tout en offrant de la matière à réfléchir. Bien joué.
visuel (c) Michel Wiart