C’est au détour des ruelles , à deux pas de la majestueuse Scuola Grande della Misericordia, que s’élève un ancien entrepôt industriel de 1000 m², désormais transformé en écrin d’art contemporain. Dans ce décor brut et lumineux, une nouvelle fondation voit le jour : AMA Venezia, projet audacieux porté par Laurent Asscher. Inaugurée ce 9 avril 2025, cette fondation privée s’impose déjà comme un nouveau centre névralgique de la scène artistique européenne.
Par Vanessa Trigano.
L’exposition inaugurale propose un parcours saisissant, oscillant entre récits intimes, expérimentations technologiques et critiques sociales. Le ton est donné dès l’entrée avec l’œuvre d’Elizabeth Peyton. Avec ses portraits sensibles, notamment Casa Malaparte Self Portrait (2022), Peyton interroge la persistance de l’intime dans un monde saturé d’images.
Le parcours se poursuit avec Wade Guyton, figure majeure de l’abstraction contemporaine, qui bouscule les limites de la peinture traditionnelle en utilisant des imprimantes à jet d’encre comme outils créatifs. L’accident devient ici un geste artistique, une célébration de l’imprévu au sein d’un processus mécanique. La machine ne remplace pas l’artiste, elle devient le complice de sa subversion.
De même, Avery Singer explore cette tension entre tradition picturale et technologies de pointe. À l’aide de logiciels issus du monde de l’architecture et du jeu vidéo, elle crée des œuvres où la main de l’artiste semble fusionner avec l’algorithme. Dans cette chorégraphie numérique, la technologie n’est plus un outil, mais un partenaire de création. La solitude de l’artiste face à la toile blanche s’efface au profit d’un dialogue entre intelligence humaine et artificielle.
Avery Singer (née en 1987, New York), Sans titre, Technique mixte sur toile, 2023
Mais le véritable vertige survient face à Female Figure de Jordan Wolfson. Ce robot féminin, maquillé, en mini-jupe, les jambes salies, se met à danser lascivement devant un miroir, fixant soudainement le spectateur d’un regard perçant et inéluctable. C’est une expérience physique, troublante, où la frontière entre l’humain et la machine, le regardeur et l’objet, s’efface. Qui regarde qui ? Qui crée quoi ? L’œuvre devient performative, et le spectateur en est le déclencheur.
Jordan Wolfson, Colored Sculpture, 2016, Animatronic, miroir, chaîne en acier, système de reconnaissance faciale
Wolfson interroge ainsi la nature même de l’autorité artistique. Est-ce le programmeur, le spectateur, ou le robot lui-même qui donne vie à l’œuvre ? Dans un monde où les intelligences artificielles génèrent de plus en plus d’images, AMA Venezia propose ici une réflexion fondamentale sur notre rapport au regard et à la création.
Jacqueline Humphries complète ce dialogue entre passé et présent. Peignant depuis les années 1980, elle a choisi de persévérer dans une pratique que l’on disait morte. Aujourd’hui, ses œuvres abstraites utilisent des couleurs métalliques évoquant les lueurs d’écrans et intègrent des langages numériques : émojis, ASCII, CAPTCHA… Une peinture de résistance, mais résolument ancrée dans le XXIe siècle.
Jacqueline Humphries, Sans titre, 2023, Peinture UV et acrylique sur toile
AMA Venezia ne se limite pas à une suite d’œuvres : c’est un lieu vivant, un espace d’échange. Le bar le « Larry’s bar » attenant se remplit d’invités, d’artistes, de curateurs. On y discute, on s’interroge, on partage. Cette atmosphère vibrante transforme l’exposition en un véritable forum, un laboratoire d’idées et de rencontres. Nancy Spector, curatrice emblématique ayant participé à la conception de l’exposition, parle d’un espace où «le visible dialogue avec les couches invisibles de l’histoire, de la mémoire et de la technologie».
David Hammons (né en 1943, Springfield, Illinois), Sans titre, Matériaux trouvés et assemblage, 2022
Comme le dit Nancy Spector dans son texte : « Hammons nous force à voir avec les yeux du doute. »
Jeff Koons “Balloon Monkey (Blue)”
À la fois accessible et déstabilisante, l’œuvre de Koons crée un contrepoint ironique et visuellement explosif dans cette exposition face à des pièces plus introspectives, comme celles de Mohammed Sami ou Reggie Burrows Hodges.
Elle marque le Tour de Force de la création de cette fondation et sa célébration.
À travers des œuvres de Brice Marden, David Hammons, Florian Krewer, Jeff Koons, Lauren Halsey, Mohammed Sami, Refik Anadol, Rudolf Stingel, Salman Toor et bien d’autres, la fondation tisse une cartographie sensible de notre époque.
AMA Venezia ne se contente pas d’exposer de l’art : elle le fait respirer, vibrer, dialoguer avec notre époque. Elle offre un espace rare où l’art et la pensée s’unissent pour nous rappeler que, même au cœur de la technologie la plus avancée, il reste toujours une part d’humain à explorer.
AMA Venezia, Du mercredi au dimanche, de 11h à 18h, Entrée : Gratuite
Site web : www.ama.art