Stefano Di Pietrantonio est docteur en Langues, lettres et traductologie. Il est arabisant, spécialiste de l’arabe chrétien et de l’orientalisme et lauréat d’un contrat post-doctoral d’un an à l’Institut Français d’Islamologie (IFI). Il a accepté de répondre à nos questions sur la place de la représentation du Prophète dans l’Islam.
Le Coran ne mentionne rien spécifiquement concernant la représentation du Prophète. En effet, le Coran insiste sur le fait que « rien ne ressemble à Dieu » précisément dans la Sourate (chapitre du Coran) 42, verset 11: « rien n’est semblable à Lui » (c’est-à-dire Dieu). Il n’y a pas de législation directe sur cette question dans le Coran.
Ce qui peut constituer le corpus sacré des musulmans, ce sont les Hadiths : l’ensemble des traditions rapportées qui viennent compléter le Coran. Les Hadiths sont des discours rapportés sur la vie du Prophète et servent de base à l’interprétation des textes. Ils apportent des précisions sur ses enseignements et ses actions.
Oui, il y a eu des variations. Dans la branche sunnite, il y a eu une tendance à éviter la représentation du Prophète. Cependant, dans le chiisme, la situation est différente. Les chiites n’interdisent pas la représentation des imams, et on trouve même des représentations d’Ali, mais pas du Prophète. Les chiites sont généralement plus ouverts à l’interprétation du texte coranique, ce qui a permis des représentations du Prophète dans des miniatures et des manuscrits, bien que ces pratiques restent rares. Je peux vous citer le manuscrit du Jami al-tawarikh de Rashid al din au 14e siècle ou « compendium des Chroniques où on représente parfois le prophète tête nue ». Il est conservé à la bibliothèque de l’Université d’Édimbourg.
Depuis l’attentat de Charlie Hebdo, il y a eu une modification dans les mentalités et les pratiques. Cela a entraîné des conséquences concrètes, notamment en France avec la création de postes sur des chaires liées à l’Islam, à la demande du président Macron. En 2022, l’Institut Français de l’Islamologie (IFI) a été créé pour combler le retard académique et promouvoir la recherche sur ces thématiques. Ce phénomène a aussi conduit à des publications, comme celle de John Tolan, Mahomet l’européen, qui est née après à l’attentat.
La disparition des caricatures dit quelque chose sur notre époque. Je ressens cela comme une très mauvaise chose en soi, plutôt comme une forme de censure, qui pourrait aussi être de l’auto-censure. Charlie Hebdo a le droit d’exister, quelle que soit l’intensité de la satire. En Italie, par exemple, le blasphème tombe sous le coup de la loi. Il existe une série de termes offensants envers Dieu, et prononcer une telle offense dans l’espace public constitue un délit. Cela menace la liberté d’expression.
Oui, cela dépend des cultures. Si une fillette dessine le Prophète dans son journal intime à Mashhad ou si un garçon caricature le Prophète dans un calepin dans le métro à Paris, ce sont deux actes tout à fait différents. Dans certaines sociétés où la représentation du Prophète est permise, comme dans certains pays musulmans chiites, il est possible de faire des caricatures ou des représentations. En Iran, par exemple, un pays musulman chiite, la représentation du Prophète est totalement admise. Cette question est aussi un point de clivage majeur entre sunnites et chiites. Nous sommes sur un post-Charlie, comme nous l’avons été après le 11 septembre. L’attentat de Charlie Hebdo a modifié les mentalités.
L’Université, à travers sa troisième mission, celle de « service à la société » n’a pas attendu l’attentat de Charlie Hebdo pour se poser des questions sur ces sujets. L’attentat a révélé la nécessité de répondre à des interrogations sur la place du religieux dans la société. L’Université a un rôle clé dans la formation des citoyens informés, car pour être bien informé, il faut être formé. C’est une des missions de l’Université : être un lieu de dialogue, d’ouverture à l’autre, et non de repli. Elle remplit pleinement sa mission en apportant des réponses à ces enjeux complexes.
Visuel : Exhibit in the Aga Khan Museum – Toronto, Canada. This work is old enough so that it is in the public domain. Photography was permitted in the museum without restriction