« Springsteen : Deliver Me from Nowhere » ou les ombres d’un mythe

Quand les mots de Zanes deviennent cinéma

Tout part du livre de Warren Zanes, Springsteen : Deliver Me from Nowhere.
Sa lecture suscite chez le producteur Eric Robinson un désir d’adaptation irrépressible. Après avoir convaincu la société Gotham et obtenu les droits, il confie le projet à Scott Cooper, réalisateur deux fois oscarisé pour Crazy Heart (2009), déjà ancré dans l’univers musical américain. Grand admirateur du Boss, Cooper n’hésite pas une seconde à embarquer dans l’aventure.

Pour incarner Springsteen, le choix de Jeremy Allen White s’impose comme une évidence. Révélé par The Bear, il partage avec Bruce la même intensité brute et un charisme taciturne. À ses côtés, Jeremy Strong (Succession, The Apprentice) campe Jon Landau, manager, mentor et alter ego artistique.

Entre ténèbres et lumière : la gestation de Nebraska

Le film s’attarde sur la période charnière de Nebraska, album dépouillé et hanté né dans le New Jersey du début des années 1980.
Loin du Boss triomphant des stades, on découvre un homme fragile, aux prises avec ses démons intimes et ses doutes créatifs. Tandis que sa maison de disques attend un nouveau Hungry Heart, Springsteen s’obstine à enregistrer, seul, un disque folk inspiré par Bob Dylan et Woody Guthrie.

…Et quand la caméra devient témoin

Assisté de la cheffe décoratrice Stefania Cella et du directeur de la photographie Masanobu Takayanagi, Scott Cooper nous plonge au cœur d’une période charnière de la vie de Springsteen.
Tous trois s’attachent à une reconstitution d’une précision chirurgicale, portée par une passion du détail rarement vue dans un biopic musical.
De la Gibson J-200 de 1953 jusqu’à la garde-robe iconique du chanteur, aimablement mise à disposition pour le tournage, tout respire l’authenticité.
Les scènes de studio et de concert, captées avec de véritables musiciens et du matériel d’époque, flirtent avec le réalisme d’un documentaire.
Et lorsque la caméra s’attarde sur l’enregistrement de Nebraska dans la chambre de Bruce, avec son Portastudio Tascam en guise de témoin, on retrouve cette magie brute, presque mystique, qui renvoie à la légende de Robert Johnson et à l’essence même du folk américain.

La chair et l’âme du Boss

Les deux Jeremy livrent des performances habitées. Allen White chante et joue lui-même, capturant la tension intérieure d’un Springsteen en quête de rédemption.
Patti Scialfa, compagne du vrai Bruce, aurait d’ailleurs confié :

« C’est dingue ! On dirait Bruce à l’époque où je l’ai rencontré. »

Le doute comme ultime accord

Springsteen : Deliver Me from Nowhere comblera les fidèles du Boss, tant le film dévoile son humanité sans voyeurisme ni complaisance.
Mais il saura aussi séduire ceux qui connaissent peu son œuvre, grâce à sa mise en scène immersive et son interprétation d’une justesse rare.
Un film sur le doute, la création et le courage d’être soi, autrement dit, un film profondément rock.

Jeremy Allen White as Bruce Springsteen in 20th Century Studios’ SPRINGSTEEN: DELIVER ME FROM NOWHERE. Photo by Macall Polay. © 2025 20th Century Studios. All Rights Reserved