Du 12 au 14 septembre 2025, la Fête de l’Humanité célèbre sa 90ᵉ édition. Sa directrice de la programmation, Sofia Boutrih, raconte une fête populaire et politique.
C’est effectivement une fête singulière, à la fois culturelle, politique et populaire. Pour cette 90e édition, nous avons souhaité proposer une programmation éclectique. C’est une évidence, mais aussi un véritable défi, notamment au regard de la situation économique de l’industrie musicale et de la création, dont les tarifs se sont envolés. Nous avons dû concilier une exigence de diversité et de qualité, en invitant de grands artistes, nationaux et internationaux, de la variété française comme de styles différents, tout en maintenant un tarif d’accès très raisonnable. C’est un engagement fort.
À la Fête de l’Humanité, nous rémunérons les artistes. Nous ne leur demandons pas de venir gratuitement. Et pourtant, chaque année, nombre d’entre eux nous sollicitent pour se produire, certains reviennent même d’une édition à l’autre. Thérèse, par exemple, revient cette année dans un format particulier, une carte blanche imaginée pour les 130 ans de la CGT. Elle partagera la scène avec Gauvain Sers, les Vulves Assassines, dans un plateau placé sous le signe de la solidarité et de l’engagement pour une certaine justice sociale.
Ce qui m’a marquée lorsque j’ai commencé à travailler sur cette programmation, c’est la reconnaissance exprimée par les artistes. Pour beaucoup, jouer à la Fête de l’Huma constitue un moment important de leur parcours, à la fois humainement et dans leur relation au public. Certains attendent avec impatience ce rendez-vous, et c’est pour nous une véritable fierté.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une “culture de gauche” : pour moi, c’est ce que devrait être la culture tout court. Un espace de liberté, de création et de rencontre. À la Fête, nous réunissons différentes formes : musique populaire, musique classique – je pense à l’orchestre Divertimento –, expositions, arts visuels. Cette année, nous mettons en avant l’artiste Théophile Alexandre Steinlen. L’accès reste volontairement abordable, car nous considérons que la culture ne doit jamais être un luxe.
À l’heure où les subventions publiques se réduisent, où des festivals comme Rock en Seine se retrouvent menacés par des décisions politiques, nous avons choisi un modèle économique autonome : la billetterie et les stands financent intégralement l’événement. Nous ne dépendons d’aucune subvention publique. Cela nous garantit une indépendance précieuse.
La culture que nous défendons est ouverte, émancipatrice, accessible à toutes et à tous. Elle s’inscrit dans une perspective d’espoir et de transformation sociale. C’est aussi pour cela que nous multiplions les propositions : spectacles de rue, performances, débats, concerts sur nos grandes scènes, mais aussi l’ouverture d’une quatrième scène internationale dédiée notamment au rock et au hard rock.
Enfin, cette édition marque une étape politique particulière. À l’initiative de Pierre Dharréville, ancien député, nous accueillons le premier rendez-vous des États généraux de la culture le dimanche 14 septembre à l’espace Jack Ralite. C’est une manière de prolonger la vision de ce dernier, qui avait toujours défendu une culture profondément humaine et progressiste.
Nous accueillons cette année une création originale : La Haine, adaptée en comédie musicale. Lorsque j’ai découvert ce spectacle, j’ai immédiatement pensé qu’il devait trouver sa place à la Fête. Sa force visuelle, sa théâtralité et son rythme en font une proposition qui dépasse le simple concert. C’est une manière de dire que, pour 45 euros – le prix le plus bas en billetterie militante –, le public peut assister à Patti Smith, Eddy de Pretto, Youssou N’Dour, Théodora, Meute, Kompromat… et à La Haine.
Nous avons aussi la volonté de développer davantage le spectacle vivant. La Fête a accueilli par le passé de grandes expositions Picasso, des défilés Yves Saint Laurent, des concerts classiques d’orchestres philharmoniques. Ce patrimoine nous inspire. J’aimerais renouer avec cette tradition, inviter par exemple des compagnies comme La Horde. La Fête de l’Huma doit rester un espace de création artistique hors norme, surtout dans un contexte où les lieux accessibles se raréfient et où la culture est en crise – crise qui reflète aussi celle de notre société.
La Fête de l’Humanité a toujours été un lieu engagé contre le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, la transphobie. Cet engagement se traduit dans les débats, les stands d’associations, les prises de parole politiques. Mais cette année, le contexte est singulier : chute annoncée du gouvernement, montée de l’extrême droite. Dans ce moment critique, la Fête sera l’un des rares espaces de rassemblement.
Notre credo est clair : ne pas se diviser. C’est un lieu de diversité et de respect, où l’on débat mais où l’on construit ensemble. Nous savons que la société est traversée par une intolérance croissante, alimentée par l’extrême droite. La Fête se veut l’antidote : un lieu où, trois jours durant, chacun peut réfléchir, échanger, se confronter, repartir avec des outils critiques et, je l’espère, avec la conviction qu’il faut agir.
Nous voulons que les jeunes générations qui découvrent la Fête repartent avec “des graines”, comme je le dis souvent, graines d’engagement qui feront d’eux, demain, des acteurs des luttes contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les formes de discrimination.
La Fête de l’Humanité, du 12 au 14 septembre 2025,
Visuels : Sofia Boutrih © Julien Jaulin / Hans Lucas et en galerie : ©Fête de l’Humanité 2024, Chang Martin