Premier roman, Sisyphe de Donatien Leroy nous fait vivre l’expérience d’un homme à la vie monotone dont le quotidien se retrouve brisé par la mort du père.
La conclusion du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus est célèbre : « Il faut imaginer Sisyphe heureux ». Car, rappelons-le ici : Sisyphe n’a pas grand-chose pour être heureux, lui qui fut condamné à faire rouler éternellement un rocher en haut d’une colline, rocher qui ne parvenait jamais au sommet mais redescendait inlassablement. Ce mythe riche en interprétation est repris par Donation Leroy qui signe ici son premier roman publié chez Inculte.
Le personnage principal de Sisyphe, sans prénom, mène une vie de bureau et de couple bien rangé. Les jours se répètent ad nauseam en la présence de « madame » et d’un chien que l’on caresse toujours sur le flanc gauche, de la main gauche. Les repas fades, les embouteillages, les mails qui se succèdent, les informations télévisées du soir et le coucher rythment chaque jour de la semaine. A ce quotidien monotone s’ajoutent les petits tracas qui semblent maintenir éveillé : faire la vidange de la voiture, le dos qui craque, etc. et les petits plaisirs (nourrir les poissons en bocal).
Sisyphe aurait pu être construit comme les Exercices de style de Raymond Queneau : une même histoire, ici les jours de la semaine qui ne se différencient pas, dont le seul style aurait varié d’un jour à l’autre. Le premier chapitre, « lundi », est d’ailleurs assez impressionnant dans sa description du banal et de l’infra-ordinaire (longue succession et répétition de « même »). Pour autant, Donatien Leroy choisit d’axer son roman sur le grain de sable qui dérègle le quotidien, et quel grain de sable, puisqu’il s’agit de la mort du père, un homme que le fils ne semble guère avoir apprécié, sans que les raisons en soient explicites.
Sisyphe, dont la ponctuation sera seulement marquée par des virgules, manifeste l’obsession d’un homme pour son quotidien bien rangé, et la peur de faire son deuil : « rien n’a changé, rien ne doit changer » car « il veut juste que ça rentre dans l’ordre, que le temps passe vite, et que ça revienne, l’ordre des choses ». Cette routine proche du châtiment ressort très bien grâce à une écriture répétitive et à des dialogues vides de sens (« ça va ? ») et extrêmement factuels. Si le roman connaît quelques longueurs, reconnaissons-le, il mérite tout de même d’être lu pour son approche radicale de nos vies bien tracées.
« il regarde, les poissons qui gobent la nourriture, la même nourriture, « Comme un poisson dans l’eau », il se dit, il se dit ça tous les jours, quand les jours ressemblent aux autres jours, quand les jours sont les mêmes, et il veut ça, comme madame, que les jours ressemblent aux autres jours, il ne veut pas de désordre, il veut être un chien, et le rester, être un bon chien, et le rester, c’est suffisant, et pourtant, et pourtant quoi, le loup est mort, et le Bon Dieu est mort, et l’espérance avec, et on fait avec ça, on s’y est fait, après tout, on se fond dans la masse, des gens et des jours »
Sisyphe, Donatien LEROY, Inculte éditions, 288 pages, 21,50 €