La salle Pleyel a accueilli le groupe islandais mythique Sigur Rós pour trois soirées consécutives. Sans surprise, la salle affichait complet pour les trois dates, prolongement logique de leur prestation remarquée à la Philharmonie le 3 juillet 2023.
La simple apparition de Jón Þór « Jónsi » Birgisson, Georg « Goggi » Hólm et Kjartan « Kjarri » Sveinsson a déclenché une émotion palpable dans l’assistance.
N’avez-vous pas l’impression que ce petit pays compte plus d’artistes que d’habitants ? Pour conquérir le monde, ces descendants de vikings ont troqué les armes contre la plume, le pinceau ou le micro, pour notre plus grand bonheur. Dans cette catégorie, Sigur Rós occupe une place à part dans le cœur des Français. Leur proximité musicale avec Radiohead n’y est certainement pas étrangère.
Le groupe arpente la scène musicale depuis 1994 et vient à Paris présenter son huitième opus : « ATTA ».
Il avait pris ce nom en référence au prénom de la sœur de Jónsi et a connu peu de changements en plus de vingt ans, lui permettant de conserver une remarquable stabilité musicale. Seul Ágúst Ævar Gunnarsson a quitté le drakkar avant la sortie de « Kveikur », album charnière dans la carrière de la formation.
Rapidement classé dans la catégorie « rock progressif », le groupe penche aujourd’hui davantage vers une musique contemporaine affirmée, portée par ses compositions et l’utilisation d’une orchestration symphonique. Même si Jónsi manie une guitare électrique, c’est principalement avec un archet, à la façon de Jimmy Page. Son falsetto, combiné à l’utilisation du « vonlenska », ce langage qu’il a inventé pour mieux coller à la musique, transforme sa voix exceptionnelle en véritable instrument au service de la composition. Notre maîtrise approximative de cette langue ne nous a pas permis de suivre le sens des textes.
La scène baignait dans la pénombre. Un sentiment d’étrangeté s’imposait, accentué par un brouillard flottant tel celui des rues de Londres. Les quarante-deux musiciens de l’Orchestre Lamoureux ont fait leur entrée, suivis du chef d’orchestre Robert Ames. Puis ce fut au tour de Jónsi, Goggi et Kjarri de s’installer à leurs instruments, dans un cérémonial digne d’un concert classique. Et nous nous sommes envolés.
Dès l’entame de « Blóðberg », second titre d’ATTA, nous avons été immergés dans un mélange de sons électroniques et symphoniques d’où la voix de Jónsi émergeait, montant dans des aigus inhumains et donnant la chair de poule à tout l’auditoire, qui retenait son souffle. Une véritable messe dédiée à la beauté et à l’Islande.
Cette sensation s’est intensifiée avec « Ekki múkk », extrait de VALTARI, pendant près de huit minutes.
Parfois, de petites ampoules disséminées dans l’orchestre s’éclairaient, nous permettant d’apercevoir les artistes, mais le reste du temps, nous étions plongés dans cette obscurité embrumée, propice à la méditation.
Le concert s’est poursuivi avec une setlist digne d’un best of, mêlant les morceaux d’ATTA à des compositions plus anciennes. Dès les premières notes de l’introduction de « Starálfur », tube extrait de Hvarf-Heim, le groupe a reçu une ovation du public aux anges.
Un entracte nous a permis de redescendre sur terre pendant vingt minutes. Dès le retour des musiciens, le redécollage s’est opéré immédiatement avec « Untitled #1 – Vaka », tiré de l’album ( ).
Cette seconde partie s’est poursuivie jusqu’au sublime « Hoppípolla », extrait de TAKK, qui a déclenché une énorme ovation. « Avalon », tiré d’Ágætis Byrjun, a clôturé ce spectacle d’une heure trente (plus l’entr’acte), d’une telle intensité que le public n’en a pas demandé son reste après des applaudissements très nourris.
Sigur Rós nous a offert une prestation d’une qualité exceptionnelle. L’Islande produit aujourd’hui des artistes tels qu’Ólafur Arnalds, Hildur Guðnadóttir, múm et tant d’autres, nourris par une très grande culture musicale. Qu’ils soient classés en rock progressif, musique contemporaine minimaliste ou électronique importe peu. Le public les suit toujours plus nombreux et éprouve un réel plaisir à les écouter. La preuve qu’ils répondent à un besoin né de certains égarements de la musique rock traditionnelle.
Þökk sé þeim
Photo: Yves Braka