Depuis le 13 mars, Adolescence ne cesse de faire parler d’elle. Déjà commentée pour son plan séquence vertigineux, son atmosphère glaçante et sa plongée dans la violence juvénile. La mini-série britannique vient de faire une entrée inattendue dans le débat public français. Désormais ministre de l’Éducation, Élisabeth Borne a proposé de diffuser la série dans les classes de 4e, accompagnée de temps d’échange sur les risques liés aux réseaux sociaux et aux violences sexistes.
Un virage politique révélateur : la série ne fait pas que captiver. Elle alerte, dérange, questionne. Et visiblement, elle inspire aussi les politiques.
De la fiction à l’école : fausse bonne idée ou intuition pertinente ?
Inspirée de faits divers britanniques, Adolescence raconte l’histoire de Jamie, 13 ans, arrêté pour le meurtre d’une camarade. La série expose un climat scolaire délétère, une masculinité adolescente sous tension, et un monde où les réseaux sociaux alimentent la honte, la frustration et la violence.
Ce sont ces thèmes-là que la ministre souhaite aborder en classe. Elle s’aligne ainsi sur le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, où l’idée d’utiliser la série dans des contextes éducatifs est également discutée. Mais la question reste entière : une série aussi noire, complexe et chargée émotionnellement peut-elle devenir un outil pédagogique efficace, sans effets de bord ?
Peut-on prévenir le harcèlement avec un plan-séquence ?
Dans un article pour Cult.news, Lisa Galstian pointait déjà les limites de la série : si elle bouscule, elle n’explique pas. Si elle choque, elle laisse dans le flou. « Pas seulement l’explosion, mais aussi la mèche », résume Emmanuel Niddam Docteur en psychopathologie et psychanalyse. Or c’est justement cette mèche – le mécanisme du harcèlement, de la radicalisation, de la haine en ligne – que l’école devrait décortiquer.
Dès lors, la série suffit-elle ? Peut-elle réellement toucher des collégien·nes de 13 ans, habitué·es à TikTok mais pas forcément au décryptage d’un long plan-séquence dramatique ? Et surtout : à quoi ressemblera l’« accompagnement » promis par la ministre ? Un débat, une fiche pédagogique, une intervention de psy ? Là encore, flou reste entier.
Le piège du geste symbolique
À travers Adolescence, Élisabeth Borne semble vouloir adresser deux fléaux majeurs : le cyberharcèlement et la culture sexiste. Une intention louable, bien sûr. Mais est-ce que ce geste suffit ? Ne risque-t-il pas, à force de simplification, de reléguer les vrais outils de prévention à l’arrière-plan ? La violence adolescente ne se résout pas en une séance de visionnage, même bien accompagnée.
En France, la prévention reste un terrain fragile. Parler aux adolescent·es, demande du temps, de l’écoute, et parfois bien plus que ce que peut offrir une fiction. Adolescence a peut-être le mérite de déclencher une conversation. Mais pour transformer l’essai, encore faut-il que cette conversation ait lieu au bon endroit, au bon moment — et avec les bons outils.