Un discours de politique générale qui n’a pas réussi à gagner la confiance des députés, avec 364 voix contre ; et une nouvelle chute de gouvernement. Portrait de celui qui devient le cinquième Premier ministre nommé par Macron en deux ans.
Selon la procédure prévue par la Constitution, l’ex-Premier ministre François Bayrou a présenté sa démission au président de la République ce mardi 9 septembre. Dans la foulée, Emmanuel Macron nomme un de ses fidèles au poste.
À 39 ans, il a occupé toutes les fonctions politiques possibles, à l’exception de celle de député à l’Assemblée nationale. Un véritable « professionnel de la politique », selon l’expression consacrée par le politologue Max Weber – qui vit « pour » et « de » la politique en faisant carrière dedans. Proche discret du président de la République, Sébastien Lecornu détient un record de longévité au gouvernement.
Il entre en politique à 19 ans, d’abord membre de l’UMP, puis des Républicains. En 2008, il devient l’un des plus jeunes conseillers dans un cabinet ministériel, celui de Bruno Le Maire aux Affaires européennes. En 2015, il devient le plus jeune président de département, dans l’Eure, après avoir été élu maire de la ville de Vernon. Il reste à ce poste de 2015 à 2017, puis de 2021 à 2022. C’est à 31 ans qu’il est propulsé au gouvernement, où il passe par plusieurs ministères : secrétaire d’État auprès du ministère de la Transition écologique et solidaire sous Nicolas Hulot, puis ministre chargé des Collectivités territoriales, et enfin, en 2020, ministre des Outre-mer.
En 2022, consécration pour ce passionné du fait militaire, ancien réserviste de la gendarmerie : Élisabeth Borne lui confie le ministère des Armées, où il est en poste sans interruption depuis. Pour rappel, il est à l’origine de la loi de programmation militaire 2024-2040 ayant fait grimper le budget militaire à 413 milliards €. Selon le média d’investigation Disclose, pendant trois ans, ce dernier s’est opposé à tout embargo sur les ventes d’équipements militaires à Israël. Ils révèlent également qu’en juin dernier, lorsque des dockers de Marseille avaient stoppé une livraison secrète d’équipements militaires vers Israël – en partie grâce au travail d’investigation de Disclose – le nouveau Premier ministre avait accusé cette enquête de « créer le trouble et d’acte antipatriotique ».
C’est à ce poste qu’il s’impose comme poids lourd de la Macronie. Celui qui se déclare « plutôt gaulliste, séguiniste, fondamentalement de droite », est exclu des Républicains en 2017 et adhère dès lors à Renaissance, après avoir été notamment directeur adjoint de la campagne présidentielle de François Fillon. Se décrivant comme libéral et européen, Le Monde, dans un portrait publié en 2022, choisissait plutôt de le dépeindre comme « pas vraiment libéral ni tout à fait souverainiste », se laissant « aspirer par les tentations identitaires de la droite, tout en sachant se faire apprécier sur son flanc gauche ».
Homme de l’ombre, discret malgré sa longévité au ministère des Armées, Lecornu est une figure peu connue du grand public. En 2012, il s’oppose au mariage entre personnes de même sexe. Il déclare : « le communautarisme gay m’exaspère autant que l’homophobie ». Il déploie d’ailleurs une vision du mariage comme : « la base de la construction de la famille », étant elle-même « construite entre un homme et une femme ». Dans la même veine, il se prononce en 2014 contre la gestation pour autrui (GPA) et la procréation médicalement assistée (PMA).
On le surnomme également le “Monsieur Chasse” du début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, il brosse dans le sens du poil les lobbyistes de la chasse en réduisant notamment le coût du permis national de chasse.Un calcul électoral de la réforme portée en 2018 par Emmanuel Macron, afin de capter des voix dans le monde rural, quitte à mécontenter les associations de défense de l’environnement. Projet largement porté par le secrétaire d’État à la Transition écologique de l’époque.
Lors de son passage au ministère de la Transition écologique, il est également chargé de dossiers relatifs à l’énergie et au nucléaire. Il a notamment géré la fermeture de la centrale de Fessenheim dans le Haut-Rhin, ainsi que le chantier de l’EPR de Flamanville, dans la Manche. Durant ces événements, il laisse percevoir une aversion pour les luttes et les militants. Ce fut le cas au moment de l’expulsion du bois Lejuc – dans le cadre du dossier CIGÉO (projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure). Le lieu occupé par des activistes écologistes et antinucléaires avait été évacué. Lecornu avait assumé l’intervention violente des forces de l’ordre comme une « réponse du retour de l’État de droit ».
Enfin, en tant que ministre chargé des Collectivités territoriales, il avait été chargé d’organiser, en 2019, le fameux « grand débat », censé répondre de manière institutionnelle à la colère des Gilets jaunes. Un débat qui dort toujours dans des cahiers de doléances laissés à l’abandon.
S’il est un choix résolument prévisible, sa nomination serait justifiée par l’urgence créée par l’absence de majorité à l’Assemblée et la nécessité d’aboutir rapidement à un budget. Or, c’est en partie aussi par sa position d’interlocuteur avec le Rassemblement National qu’il est choisi. Une solution de facilité, bien loin d’un compromis avec la gauche naïvement espéré, qui traduit néanmoins un tournant idéologique amer. Le choix d’un président « ni de gauche ni de droite », qui penche quand même plus d’un côté que de l’autre, au risque plus qu’évident de nourrir la colère sociale et d’alimenter la crise politique et institutionnelle en cours.
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