Ce samedi 11 octobre, à la veille de la remise des derniers otages et alors que le monde entier retient son souffle pour que le conflit s’arrête enfin, le Consulat Voltaire ouvrait les portes d’un restaurant unique en son genre. Sababa propose du mercredi au dimanche, jusqu’au mois de juin prochain, de manger, boire, dialoguer et voir des spectacles sous deux drapeaux tressés : l’un israélien, l’autre palestinien. Le tout est accompagné par des galeries de portraits et un envol de colombes en papier.
Imaginé par le journaliste palestinien Radjaa Abou Dagga et le militant franco-israélien co-fondateur de Beit Ham et vice-président des amitiés judéo-musulmanes de France Edgar Lalloum, le projet est audacieux et fait un bien fou.
D’un côté le bar, de l’autre la cuisine organisée par Radjaa, prise d’assaut pour ses mezze et ses manakish mais aussi ses gâteaux et son flan à la fleur d’oranger (15 euros le menu). Peu de musique au début et beaucoup de discussions, assis sur des coussins devant la scène pour manger, avec des amis, des enfants et même des livres et des jeux pour les accueillir.
À 14h, cette grande journée d’ouverture culturelle commençait par des poèmes en arabe, en hébreu et en français de Mahmoud Darwish et Yehoudah Amichai, avant de se poursuivre par de la danse flamenco. L’association qui a permis aux deux initiateurs de se rencontrer, «Nous Réconcilier», a ensuite proposé un cercle de parole, suivi d’une interview de Radjaa Abou Dagga et Edgar Lalloum.
Alors qu’un grand banquet était prévu le soir, les performances et dialogues culturels se sont poursuivis avec la musique de Nawal et Guillaume, le qanun de Hend Zouari ainsi que le rock progressif d’Exil. Il y avait aussi de la danse contemporaine signée Danielle Agami et Jessica Bonamy.
Ce sont deux hommes qui sont à l’origine de ce projet fou : manger, dire des poèmes et écouter de la musique ensemble, qu’on soit palestinien, israélien ou tout autre chose … Radjaa Abou Dagga & Edgar Laloum se sont rencontrés il y a moins de six mois grâce à l’association «Nous Réconcilier», qui les a mis en relation car ils avaient «tous les deux, chacun de notre côté, le même projet en tête».
Edgar Laloum explique leur démarche : «Ici, en France, nous vivons chaque jour dans la polémique de choisir si l’on est pro-palestinien ou pro-israélien. Et chaque fois, on se crée des ennemis dans l’autre camps. Pour Sababa, nous avons voulu penser que les deux drapeaux ensemble pouvaient représenter autre chose.»
Le choix de la nourriture comme vecteur de paix n’est pas anodin. Radjaa Abou Dagga explique sa centralité : «Cela fait 77 ans que nous vivons des guerres et des négociations, des hauts et des bas dans tous les sens et la solution politique n’a mené à rien, malgré la décision du soutien international. Alors nous nous sommms dits que nous voulions passer par l’humain ; un humain qui pense, qui dort et qui mange. Pourquoi alors ne pas passer par la nourriture ? Et rapidement nous avons constaté que Palestiniens et Israéliens ont les mêmes plats, les mêmes coutumes, les mêmes habitudes. Edourd Laloum complète le tablau : «On a les mêmes sourires, les mêmes blagues, parce que c’est de la même terre. Et une fois qu’on a mangé, il faut penser à l’après. C’est là que nous avons décidé d’ajouter l’aspect culturel »
Radjaa Abou Dagg raconte comment vivent les siens : «Je suis palestinien, je suis de Gaza, j’ai vécu toute ma vie à Gaza, une trentaine d’années. J’ai perdu tous mes biens, deux fois, et j’ai perdu mes biens plusieurs fois. Mes sœurs, mon frère et moi, nous avons tout perdu. Nous avons perdu nos terres, nos maisons, nos appartements, nos biens. Ainsi que 25 personnes de notre famille. Les autres sont toujours sous les tentes ou déplacés un peu partout. Notre village est complètement rasé. En principe, je devrais avoir de la haine vis-à-vis des israélien, mais si jamais j’ai de la haine ce n’est pas à eux que je la dédie mais à toute personne qui déclenche ou soutient la guerre.
Sur l’instrumentalisation du conflit en France, Radjaa est clair : « Ici, en France, il n’y a pas moyen d’importer ce problème entre musulmans et juifs, parce que le problème n’est pas juif ou israélien, c’est un problème de terre, d’existence politique.»
Edgar ajoute : «Il y a beaucoup de gens en France qui ne supportent plus la situation qui existe là-bas. On se bat pour que ce qu’il se passe là-bas n’ait pas d’influence sur les musulmans et les juifs qui vivent en France, parce qu’il y a tellement de choses en commun, même sur le plan religieux, entre ces deux religions.»
L’ambiance est chaleureuse, les mets sont savoureux, l’accueil est délicieux et cela fait tellement de bien de se parler et de mieux se connaître. Sababa est plus qu’un restaurant et un lieu de cultures au sens le plus fort du terme : le nouvel invité du consulat prouve que le dialogue et le partage sont possibles, même lorsqu’on n’y croit plus.
Sababa au Consulat Voltaire, 14 avenue Parmentier, Paris, Du mercredi au dimanche jusqu’en juin 2025, Menu à 15 euros