Le vagabond du rock Rick Davies s’est éteint, emportant avec lui l’âme de Supertramp, ce groupe mythique qu’il avait créé aux côtés de Roger Hodgson en 1970. L’un des architectes du rock progressif britannique laisse derrière lui un héritage musical indélébile qui a marqué plusieurs générations.
Les années 70 ont vu émerger une nouvelle vague britannique, héritière directe des Beatles, des Moody Blues et de Procol Harum. Baptisée « rock progressif », elle a propulsé sur le devant de la scène des formations légendaires comme Genesis, Electric Light Orchestra, Yes ou encore The Alan Parsons Project. Parmi ces pionniers, Supertramp se distinguait par une approche unique : celle d’un rock teinté de jazz, porté par des mélodies d’une rare sophistication.
Cette singularité n’était pas le fruit du hasard. Rick Davies, né en 1944, avait été foudroyé par le jazz dès l’âge de huit ans en découvrant un album de Gene Krupa, le légendaire batteur et chef d’orchestre américain des années 40. Sa vocation était née : il serait musicien. Après avoir débuté à la batterie, il se tourna vers le piano qu’il apprit en autodidacte, ne le quittant plus jamais.
En 1968, le destin place sur sa route un mécène hollandais qui lui propose de financer la création de son groupe. Une petite annonce dans le magazine Melody Maker attire l’attention de Roger Hodgson, et Supertramp voit le jour. Richard Palmer (guitare, balalaïka, chant) et Robert Millar (batterie, percussions et harmonica) complètent rapidement la formation.
L’histoire de Rick Davies se confond avec celle de Supertramp. Après une période de rodage difficile à Munich, le groupe regagne Londres pour enregistrer son premier album éponyme en août 1970. L’accueil est décevant, et l’échec cuisant.
Trois années d’insuccès, de départs et de difficultés financières s’ensuivent. Mais Davies et Hodgson ne baissent pas les bras. En 1974, ils signent leur come-back avec « Crime of the Century ». Cette fois, la critique s’emballe et le public suit. Toutes les compositions portent la signature « Davies/Hodgson », clin d’œil assumé au mythique tandem « Lennon/McCartney ». Malgré son ton parfois léger, l’album explore avec finesse la frontière ténue entre raison et folie. En 1975, le disque d’or britannique puis américain couronne leurs efforts, tandis que « Dreamer » s’impose comme un hymne générationnel.
Il faut attendre 1979 pour que Supertramp atteigne véritablement la consécration mondiale. Après une année de travail acharné, le groupe dévoile « Breakfast in America », leur sixième opus, critique à peine voilée du mode de vie américain. Véritable machine à tubes, l’album enchaîne les succès : « Take the Long Way Home », « Goodbye Stranger », « The Logical Song » et le titre éponyme « Breakfast in America ». Cet album figure aujourd’hui dans toutes les discothèques idéales, véritable sésame pour île déserte musicale.
À ce jour, Supertramp a écoulé plus de 60 millions d’albums dans le monde, dont un tiers grâce au seul « Breakfast in America ».
Le 9 mars 1983 marque un tournant : Roger Hodgson annonce son départ du groupe pour des raisons personnelles, sans aucun conflit avec Davies. Supertramp poursuit l’aventure sous l’impulsion de Rick, alternant entre succès d’estime et moments plus difficiles, sans jamais retrouver l’impact phénoménal de « Breakfast in America ». En 2015, l’annonce tombe comme un couperet : Rick Davies souffre d’un cancer de la moelle osseuse et doit entamer un lourd traitement médical.
Bien qu’il soit impossible de dissocier la carrière de Rick Davies de celle de Roger Hodgson, on peut reconnaître au claviériste le mérite d’avoir insufflé cette sonorité jazzy si particulière à Supertramp. Cette empreinte unique a permis au groupe de se démarquer dans la vague du rock progressif, généralement plus tournée vers les influences classiques.
Aujourd’hui, les nouvelles générations connaissent parfaitement Supertramp et ses tubes monumentaux. Rick Davies, son créateur et âme musicale, mérite qu’on se souvienne de lui à la hauteur de son génie.
« Goodbye Stranger »
Photo: ©Ueli Frey (1979)
Les deux albums, « Breakfast in America » et « Crime of the Century », ressortent en edition remasterisée le 11 septembre