Rencontre avec Antony Giuliani, la nouvelle génération de l’humour juif

Depuis quand êtes vous drôle ?

Je pense que je suis drôle depuis le moment où j’ai compris que l’humour pouvait me sortir de situations compliquées. À l’école déjà, je faisais rire mes professeurs et je m’en sortais comme ça. Un jour, j’ai volé quelque chose au Monoprix, le vigile m’a arrêté et je n’avais rien à lui dire. Tout ce que j’ai trouvé, c’était de le faire rire en pleurant. Je lui disais s’il vous plaît monsieur et je crois que c’est ça qui m’a sauvé. C’était tellement incongru qu’il m’a laissé partir. Ce jour là, j’ai compris que c’était une force.

Quelle est la première personne qui vous a dit que vous étiez drôle ?

Les filles. D’abord pour avoir des amis, puis j’ai compris que c’était une arme de séduction. Quand j’avais six ans, il y avait Jennifer. Je la faisais rire toute l’année. Elle était beaucoup trop belle pour moi et pourtant je la faisais pleurer de rire. Ça m’a marqué.

À partir de quand avez vous pensé que ça pouvait être un métier ?

Quand je regardais Gad Elmaleh ou Jamel Debbouze à la télévision, je ne pensais pas du tout que c’était un métier. Pour moi, c’était des stars et ce n’était pas vraiment un travail. Je ne savais pas que c’était accessible. C’est grâce aux Comedy Clubs que j’ai compris qu’en fait, c’était un métier. Le jour où j’ai mis un chapeau et que des gens ont mis de l’argent dedans, tout s’est éclairé. Et à Montréal, c’était encore plus évident. Là bas, c’était déjà une vraie profession.

Quel a été le déclencheur pour faire votre premier Comedy Club ?

Une dépression ! J’ai travaillé très jeune, et un jour je me suis dit je ne vais pas faire ça toute ma vie. Pendant six mois, je n’ai rien fait du tout. Je restais chez moi, je regardais le plafond, je ne savais plus quoi faire. J’ai commencé à écrire, je me suis lancé et dès la première scène, j’ai su que c’était ça.

Qui vous faisait rire quand vous étiez enfant ?

Mon oncle Roger. Dans chaque famille juive, il y a un oncle comme ça. Il m’a fait pleurer de rire quand j’avais sept ans. Il m’a dit demandez moi l’heure, je lui demande et il me dit t’as qu’à t’acheter une montre. Je me suis effondré de rire. C’était vraiment le boute-en-train de la famille. Encore aujourd’hui, il me fait rire. Il est plus drôle que moi, vraiment plus drôle.

En 2025, on peut toujours être juif et drôle ou il faut rester discret ?

Moi, je pense déjà qu’être juif et drôle, ce n’est pas exclusif aux Juifs, mais ça fait profondément partie de notre culture. Le rire pour ne pas pleurer. Il y a toute une famille d’auteurs américains, new-yorkais, ashkénazes, avec des pépites incroyables. En 2025, c’est toujours là. Et quand je faisais des vidéos avec Yassir, on se vannait entre juifs et musulmans. Je ne me suis jamais dit que c’était osé. Les gens nous écrivaient pour dire on fait pareil chez nous. Je me suis rendu compte que la majorité des gens s’entendent. On veut nous faire croire que c’est pesant, mais en vrai ça va.

Est ce que vous réalisez que ce duo sert peut être à quelque chose de plus grand que prévu ?

C’est Yassir qui l’a compris avant moi. Moi, je faisais ça parce que c’était drôle. Je ne réfléchissais pas plus loin. Et puis les gens ont commencé à venir nous parler, à nous dire ce que ça leur faisait. Là, j’ai compris que ça allait au delà de la vanne. Il y avait un vrai besoin de quelque chose qui rassemble. Je n’y avais pas pensé, mais j’en suis fier.

C’est étrange de se voir sur Prime Video ?

C’est horrible de se regarder, mais j’ai adoré le faire. J’étais très à l’aise, très moi même. Je n’avais pas d’appréhension. Le seul truc qui m’a embêté, c’est la manière dont certaines blagues ont été coupées. C’est un montage de télévision et pas d’humour. Mais une fois que c’est diffusé, ça ne m’appartient plus. Il faut passer à autre chose.

Avez vous ressenti un avant après après Comédy Class avec Éric et Ramzy ?

Pour certains oui, pour d’autres non. Pour moi, ça m’a aidé un peu, mais c’est un tout petit pourcentage de tout ce que je vais devoir faire pour que ça explose. On l’a fait et on passe à autre chose.

Votre ego, de 1 à 10 ?

Zéro. Allez, un pour la forme. Dans ce métier, si vous avez trop d’ego, vous êtes mort. Mes amis me le rappellent très bien. Ils cherchent la meilleure blague possible pour dire que je suis nul. Ils me brisent l’ego en groupe et c’est exactement ce qu’il faut. Après, il faut un minimum de confiance en soi pour prendre de bonnes décisions, mais l’ego, non, il ne doit presque pas exister.

Faites vous un arbitrage entre les vannes pour les réseaux sociaux et celles pour la scène ?

Oui. Ce que je mets sur les réseaux sociaux, ce sont des choses qui ont moins leur place dans le spectacle ou des blagues qui fonctionnent mieux dans l’instant. Sur un sujet précis, de l’actualité par exemple. Le spectacle, c’est plus personnel. Sur les réseaux, si vous ne connaissez pas le personnage, certaines blagues ne fonctionnent pas.

Avez vous une vraie stratégie pour les vidéos ?

Oui. Aujourd’hui, on est des créateurs de contenu avant tout. Si je ne poste pas, personne ne vient à mon spectacle. Depuis Comédy Class, j’essaie de poster trois vidéos par semaine. Après l’émission, j’ai pris un break. Là, je m’y remets. Trois par semaine, c’est le minimum. On est tellement nombreux qu’il faut exister. Je privilégie les vidéos de scène. Quelqu’un qui a vingt mille abonnés mais qui poste du stand-up remplit plus vite qu’une personne avec cent mille abonnés et des vidéos de réaction.

Est ce qu’on vous a aidé à écrire ce premier spectacle ?

Toutes les idées viennent de moi, mais j’écris beaucoup avec mes amis. À Montréal, je travaillais avec Charles Brunet, Michael Benson ou Erickson Alisme. On se posait dans des cafés, je pitchais une blague, elle circulait dans leur cerveau et ça ressortait autrement. C’est un filtre précieux. Quand j’ai une nouvelle blague, j’appelle un ami humoriste pour lui demander ce qu’il en pense. Et pour la mise en scène, je travaille avec Yassir. Il ne m’aide pas forcément à trouver des blagues, mais il me demande pourquoi je parle de quelque chose, ce que j’ai envie de dire. Ça m’aide à avancer.

Vous avez pensé rester au Québec ?

Je devais rester deux ans, je suis resté cinq ans. Ma mère m’a presque tué ! (il rit) Mais je voulais faire ce métier en France. Je voulais apprendre là bas et revenir ici.

Y a t il un thème qui vous touche particulièrement et que vous gardez comme fil dans ce spectacle ?

Je pense que c’est la famille. Et la religion aussi. Le rapport à Dieu. Mais le spectacle est encore en construction. Je l’ai joué quinze fois. Dans six mois, la moitié aura peut être changé. J’apprends à faire un spectacle. Je sais écrire des blagues, mais construire un ensemble, je découvre. Je ne suis pas très fan de l’idée du fil rouge, c’est très français comme approche. J’essaie de comprendre ce qui me ressemble et ce dans quoi je suis à l’aise.

Quel humour vous fait rire aujourd’hui, à part oncle Roger ?

Anas Hassouna. Pour moi, c’est l’un des meilleurs humoristes francophones. Et sinon, j’adore les blagues très simples et très bêtes. Théo Von par exemple. Il raconte que son cousin s’est fait mordre par un gay et qu’ils attendent de voir. (il rit)

Et pour la suite, on vous souhaite quoi ?

De continuer à jouer ce spectacle partout. Continuer à trouver des blagues. Continuer à faire rire les gens. L’autre soir, il y avait des jeunes, des gens plus âgés, des publics très différents et tout le monde riait. Ça fait trop plaisir. Je veux que la passion reste. Le reste, c’est du travail !