Quand l’Art brut dialogue avec la collection Würth à Erstein (Alsace)

On connaît peu le Groupe Würth en France, holding de 400 sociétés, originaire du Bade-Wurtemberg, et présent dans 80 pays car il vend et assemble surtout du matériel professionnel. Le fondateur et patriarche né en 1935, Reinhold Würth, toujours très actif, est un grand mécène des arts et du savoir.
En France, donc, le siège social est à 20 minutes de Strasbourg, à Erstein, où un grand centre de formation vient d’être inauguré. Le musée est placé au cœur de la ville avec 5 ha de parc et 800 m2 d’espace d’exposition. Il a pour objet de mettre en valeur les 18 000 œuvres, peintures, dessins, gravures et sculptures de la collection où vous trouverez des Pablo Picasso, René Magritte, Georg Baselitz, Gerhard Richter Anselm Kiefer… Mais aussi, depuis les années 2000, une collection de maîtres anciens, dont la fameuse La Vierge de Darmstadt de Hans Holbein.

Dialogue avec la Collection Würth

Si Carmen Würth, l’épouse de Reinhold, s’intéresse beaucoup à l’art thérapie, leur collection ne se concentre pas forcément sur l’art brut, L’objectif de l’exposition est donc de faire dialoguer des œuvres de cette collection avec des grandes œuvres de l’art brut, venues elles aussi majoritairement de collections privées (Antoine de Galbert, Bruno Decharme…)

Une merveille de pédagogie et de scénographie

A l’intérieur du très grand et très haut espace du musée, la scénographie, signée Claire Hirner et Jean Bermon, donne de l’intimité en recréant de fragiles petites favelas à l’intérieur du musée. Tout commence par un grand Baselitz pour entrer dans un parcours qui est à la fois chronologique et thématique. Et qui peut aussi bien être une introduction à l’art brut, qu’une visite approfondie et sensible de ce courant en 160 œuvres. On commence par les anonymes, avec des dessins collectés par des psychiatres à la fin du 19e et au début du 20e siècle, comme le Dr Marie, puis un pan de l’exposition interroge le programme d’extermination des adultes handicapés mentaux (Aktion T4) par les nazis. Des artistes bruts inquiétés ou assassinés comme Paul Goesch & Theodor Wagemann côtoient l’art « dégénéré » d’un Emil Nolde des collections.

Un regard renouvelé sur l' »art des fous »

La Dame Blanche de Jean Dubuffet, premier théoricien de l’art brut, vient nous rappeler que la psychiatrie n’est pas indispensable : l’art brut n’est pas un art « des fous » comme le soutenait André Breton. C’est avant tout un art fait par des artistes qui n’ont ni formation, ni revendication artistique. L’exposition rassemble les grands noms de cette discipline : l’amoureuse de l’empereur Guillaume II Aloïse Corbaz, comme les contes inlassables de Henry Darger à Chicago, les Tours Eiffel merveilleuses d’un Emile Ratier devenu aveugle à la fin de sa vie, les Cocons de Judith Scott, à Oakland, ou enfin les chapelles baroques en perles de Paul Amar. A l’étage, Julian Schnabel côtoie des œuvres « médiumniques » (Augustin Lesage, Fleury Joseph Crépin, Raphaël Lonné, Madge Gill ou encore Michel Nedjar). Les grandes toiles mythico-hystériques de Jonathan Meese sont montrées en vis-à-vis du travail fait autour du Dr Léo Navratil à la clinique autrichienne de Gugging, avec la création dans les années 1980 de la Maison des artistes, qui a donné naissance à des stars de l’art brut comme Walla, Tschirtner, Hauser, Fischer…