Au Théâtre de la Ville, Lisa Guez installe un vrai-faux dispositif de psychodrame qui interroge : peut-on rire des névroses et des psychoses, même fictionnelles ?
C’est le genre de spectacle qui vous laisse perplexe, avec une sensation étrange et l’impossibilité de répondre sincèrement à la question : qu’en avez-vous pensé ? La pièce porte en son titre son propos : Psychodrame. Elle se compose d’une succession de séances fictives de cet outil thérapeutique collectif qu’est le psychodrame. Contrairement à ce qui est indiqué dans le programme de la salle, Jacob Levy Moreno n’est pas l’inventeur de cette méthode. Bien que celle-ci soit postérieure aux théories de Jacques Lacan, en 1930, Moreno a effectivement imaginé une forme de théâtre thérapeutique. Cependant, le véritable essor du psychodrame psychanalytique individuel a eu lieu grâce aux efforts conjugués des thérapeutes lacaniens Diatkine, Kestemberg et Lebovici. Leur article fondateur, Bilan de dix ans de pratique psychodramatique chez l’enfant et l’adolescent, publié en 1958 dans La Psychiatrie de l’enfant, en témoigne.
Mais alors, qu’est-ce que le psychodrame ? Ce n’est pas du théâtre. C’est une thérapie par le jeu de rôle. Et c’est précisément ce que nous voyons se dérouler sur scène.
Le décor représente une salle d’activité dans un hôpital avec des chaises et un porte-manteau. Une double porte battante donne sur un couloir. Ce jour-là, une énième crise secoue le service, menacé de fermeture par l’administration, car le psychodrame n’est pas considéré comme rentable. Le groupe de thérapeutes, incarné par Fernanda Barth, Valentine Bellone, Sarah Doukhan, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour, Clara Normand et Jordane Soudre (dans leurs propres noms), tente de prouver que cette thérapie fonctionne, même dans les cas les plus complexes.
Les comédiennes jouent tour à tour les thérapeutes et leurs patientes, donnant vie à de fausses séances qui reproduisent fidèlement la réalité. Lisa Guez s’est documentée en profondeur : « Nous avons créé des personnages de patientes qui ont été, pour ainsi dire, analysées et ‘psychodramatisées’ par une psychologue. Cela a été un formidable creuset pour inventer des personnages riches et complexes. » Les séquences s’enchaînent à un rythme effréné, reflétant la tension constante qui règne dans les services psychiatriques depuis des décennies de politiques publiques délétères au point de rendre les psys… fous et folles.
Rapidement, la pièce prend des allures de comédie. Les cas présentés suscitent une forme d’ironie grinçante, comme cette femme serpent qui refuse d’accepter la naissance de son enfant. En y réfléchissant, ce n’est plus si drôle. On suit le parcours d’une érotomane, d’une agressive, d’une psychotique… Chaque pathologie est explorée à travers ce jeu de rôle, où la patiente propose une scène que les co-thérapeutes jouent pour elle. Ces mises en situation provoquent des déclics, permettant des avancées. Le rire vient aussi des performances des comédiennes, capables d’incarner des rôles absurdes : une fille harcelée par une érotomane, un tronc d’arbre ou encore des oiseaux morts. Tout peut être joué, même le chien Bouba, qui se met à parler. Mais là encore, une fois couché sur le papier, cela perd de son effet comique.
Psychodrame reste, au fond, du théâtre très classique dans son format, son décor et son évolution dramaturgique. Les comédiennes excellent, c’est indéniable. Cependant, les interludes censés représenter leur vie hors de l’institution tombent à plat. Ces scènes vaguement dansées semblent être plaquées sur le récit, comme une tentative maladroite d’introduire des respirations dans un univers de chaos et de folie.
Oui, de folie. Les patientes sont folles, malades. Et même si tout est fictif, cela sidère, d’autant plus que les psychodrames ont aujourd’hui quasiment disparu des hôpitaux. En ce sens, Psychodrame est une œuvre militante et urgente. Mais non, ce n’est pas une comédie.
Jusqu’au 12 décembre, Théâtre de la Ville-Les Abbesses.
Visuel : ©Jean-Louis Fernandez