«Prendre l’option légère» avec Victor Pouchet, lauréat du Prix La Ponche

Aventure panoramique

Vêtu d’un tee-shirt kaki et d’une veste en toile bleu électrique, Victor Pouchet s’installe dans notre bureau, face au ciel blanc et à l’horizon parisien (et au delà, on y voit même des collines vertes). Dans cette ambiance rétro-futuriste, il a l’impression de passer un entretien d’embauche pour une entreprise au bord de la faillite. Un peu lustrée avec sa moquette et ses bureaux vides, cette image d’un autre temps du «monde des adultes» lui est lointaine, il dit «cinématique». La vue panoramique est peut-être déjà une aventure.  

Pas vraiment bureaucrate, Victor Pouchet est né à Paris, et après avoir intégré l’Ecole normale supérieure de Lyon, il commence une thèse sur les stendhaliens, qu’il abandonne quelques années plus tard pour se consacrer à l’écriture. Enfant, il écrivait déjà des poèmes. A quinze ans, de nombreux débuts de romans, de dialogues, de recueils, chaque fois inachevés. Puis il découvre Frédéric Berthet, avec Daimler s’en va, un roman «de désespoir et de drôlerie», qui lui indique un chemin pour assembler tous ses bouts de textes, et le «libère dans son rapport à la forme», dans sa capacité à aller au bout d’un roman. 

Epopées, mosaïques, romans-poèmes

Nourri du rapport au monde de Berthet, de projets inachevés, mais aussi d’un fait divers obsédant, il publie en 2017 son premier roman Pourquoi les oiseaux meurent. Après la lecture d’un article sur d’étonnantes «pluies d’oiseaux morts», il imagine une épopée entre Paris et la Bretagne, durant laquelle le narrateur cherche du sens dans un monde qui en est dépourvu. Il entame par la suite un «grand roman shakespearien» autour d’un procès corse, dont il se sert finalement pour Autoportrait en chevreuil (2019), une mosaïque de plusieurs textes mis en mouvement par la rencontre improbable d’un magnétiseur lors d’une promenade en Bretagne. 

Inspiré par George Perros, l’un de ses «maîtres d’existence» – expression qu’il lui emprunte -, il a publié deux romans-poèmes : La Grande Aventure, un assemblage «comme un puzzle» de poèmes écrits quotidiennement durant le confinement, et L’option légère, qui suit un homme le temps d’un été, d’un chagrin d’amour, d’aventures banales et chaotiques que la poésie tente d’ordonner. 

L’obsession de la légèreté

L’obsession permanente est la légèreté. Dès son deuxième roman, le personnage d’Avril suggère à Elias de «prendre l’option légère». Dans la Grande Aventure, l’expression revient. Et elle titre son dernier livre. Mais elle non plus n’est jamais achevée, la légèreté n’est pas une constante. L’option légère est une fuite en avant, «on se sent peser dix mille tonnes», alors on ne cesse de la poursuivre, en «écrivant, en dansant dans un supermarché, en cherchant à toujours décaler le regard». C’est «retrouver une position enfantine». 

Ce rapport au monde d’enfant étonné, émerveillé, avec lequel il renoue entre autres dans l’écriture est encore plus libre lorsqu’il écrit pour la jeunesse. Le 22 mai 2024 est paru le tome 2 d’Oncle Kid, illustré par le dessinateur Killoffer, un «mélange entre OSS 117, James Bond, l’inspecteur Gadget, Austin Powers» et lui. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, écrire un bon livre pour enfant est plus difficile qu’écrire un bon livre pour adultes, car il doit plaire intrinsèquement. Les jeunes lecteurs.rice.s sont intransigeants, et «ils ne choisissent pas un livre en fonction de son sujet ou de ses orientations politiques ou esthétiques». En bref, ces projets, «c’est comme fabriquer un gâteau au chocolat très sucré avec une touche de piment». 

Les micro-détails ordinaires

Quand Victor Pouchet écrit, il s’abstrait du monde, comme on joue, comme on imagine, pour inventer des histoires. Pourtant les micro-détails ordinaires occupent la réalité et participent de sa narration. Les chips, un démaquillant presque vide d’une femme que l’on a aimée, les fruits qui pourrissent sur une table, cela comme l’amour, la mort ou l’interminable quête du «poème définitif / qui invite à tout arrêter / et à ne plus jamais écrire / et ne plus regarder d’écrans / et ne plus échanger d’images» trouvent toute leur place entre ses vers. 

En rythme sans rimes

Parfois litaniques, parfois faussement candides, jamais artificiels, ses poèmes évoluent toujours en rythme, sans rimes, et leur douceur spontanée produit une émotion directe qui nous donne envie d’en écrire. De ses lecteurs, c’est ce retour qu’il préfère. Lui-même évoque des expositions desquelles il sortait se rêvant peintre, «sans aucune compétence dans ce domaine». Sa conception de la poésie emprunte à Georges Perros, comme «tentative de bavardage avec support lyrique», ou à Jacques Audiberti, qui écrit «comme on laisserait une annonce dans le journal pour trouver une famille». Il évoque également Vladimir Nabokov, sa fascination pour les papillons, les échecs, son humour, et surtout le merveilleux Ada ou l’ardeur, dans lequel «chaque page est un monde». Sans oser caractériser ses livres de «nabokoviens», avec humilité, plus sans doute que l’immense esthète russe, Victor Pouchet parvient à toucher les lecteurs sans les intimider ni simplifier son travail. 

Long métrage de neuf minutes

Après son escale tropézienne, Victor Pouchet poursuivra un projet littéraire dont la forme est encore à déterminer. Il aime en créer de nouvelles, même s’il a conscience que nous «reprenons toujours des existants, que nous modifions et associons». Il visite de nombreux musées, mais, un peu superstitieux, se garde d’en dire plus. Son jeu de supports se porte également sur les images : il publie sur Instagram (@vicpouchet) des micro courts-métrages, d’une durée d’une à neuf minutes trente-neuf, ce «long métrage» étant intitulé Regarde la mer. Quelles autres options amusantes, poétiques, légères trouvera-t-il encore à inventer ?