Au Théâtre 13, la metteuse en scène et magnifique autrice redonne à voir son tube Plutôt vomir que faillir. Une pièce exutoire et salutaire pour toustes les adolescent.e.s d’hier et d’aujourd’hui.
Les pièces de Rebecca mettent toujours le corps au centre du jeu. Ses spectacles : Boudin Biguine Best of Banane, Carte noire nommée désir, L’Estomac dans la peau, Monstres d’amour (Je vais te donner une bonne raison de crier), Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute, Une patte retombe toujours sur ces chattes et Whitewashing sont des œuvres militantes et urgentes qui dés-invisibilisent les invisibles, qui démontent tous les stéréotypes de haine. Plutôt vomir que faillir ne nous fait pas mentir. Nous rencontrons Zakary Bairi, Mélodie Lauret, Sekhou Dramé et Yasmine Ndong Abdaoui, habillé.e.s chacun.e en monochrome pop : Mélodie en rose, Zakary en vert, Sekhou en orange et Yasmine en bleu. Nous sommes visiblement au self de la cantine, à gauche se trouve un mur de micro-ondes, une vingtaine, et au fond se tient une immense assiette qui occupe bien la moitié du plateau. Iels vont, comme premier geste, pousser cette assiette au centre, car oui, pour passer à table, avaler ses complexes, ravaler ses tourments, vomir ses agressions, chier ses poils qui poussent, digérer ses premières règles, il vaut mieux avoir de la place, beaucoup de place.
Iels vont se raconter dans leur collectivité et leur identité propre. Nous sommes face à ce que l’adolescence est comme traversée dans son ensemble quand iels font corps commun. Mais il s’agit surtout de les rencontrer, de les entendre. Aujourd’hui, iels sont des adultes, toustes dans leur vingtaine ; ça y est, ce vécu est derrière iels. Se succèdent alors des autoportraits en mots et en gestes. C’est Zakary Bairi qui ouvre le bal, dans son identité « d’arabe que tout le monde prend pour un blanc ». Iel se raconte assis.e sur un WC, pantalon sur les chevilles, et se cachant sous des mètres de rouleaux de papier toilette. Enfant insatisfaisant.e pour maman en demande, enfant en mouvement perpétuel pour papa dépassé, Sekhou raconte ses mensonges pour tenter de s’intégrer dans un collège dans le Marais, Mélodie raconte ses ami.e.s et ses passions virtuelles et oubliées, Yasmine raconte ses violences et ses fuites salutaires.
Tel du maïs se transformant en un pop-corn explosif, le jeu se déploie à l’excès aussi vite que des seins qui poussent presque en une nuit entre le CM2 et la sixième. Le quatuor est très touchant dans ses connexions, son entraide et son écoute. Ces quatre-là ont eu 13 ans un jour, cela crée des liens pour toute la vie, toute la « vraie vie» même. La pièce oscille entre poésie fine et grands éclats foutraques, exactement comme dans la « vraie vie ». Il y a les jours avec et les jours sans, les jours avec les « toujours » et les jours avec les « jamais », les jours où, pour de vrai, on veut mourir de honte ou d’amour (à se demander si ce n’est pas la même chose). Rebecca Chaillon n’essaie pas de redevenir une adolescente ni même de transformer ses quatre artistes en adolescent.e.s. C’est tout le contraire : il s’agit de reconnecter son « moi » adulte à son « moi » adolescent, à ce tourbillon qui a parfois l’allure d’une bouillie aussi dégueulasse qu’une purée industrielle faite à l’eau.
Jusqu’ au 20 décembre 2024 au Théâtre 13 / Bibliothèque
Visuel ©Marikel Lahana