Pour sa quatorzième édition, le festival Planches Contact déploie la création photographique dans les rues de Deauville et dresse un portrait de la ville qui s’inscrit dans les traces des impressionnistes, entre paysages, architecture et humain.
Planches Contact est un festival-laboratoire en constante évolution. Dévolu à la création photographique contemporaine, il occupe chaque année de nouveaux lieux et imagine de nouvelles façons de présenter la photographie, et pour la deuxième année il fait des Franciscaines son point de base. Inauguré en mai 2021, le très beau lieu culturel deauvillais a regroupé entre ses murs de nombreuses collections d’art de la ville et de la Région, dont la collection d’artistes impressionnistes « Peindre en Normandie ». Et cette année, les similitudes entre les peintres du XIXème siècle et les photographes d’aujourd’hui sont particulièrement prégnantes, tant dans la démarche des artistes que dans les œuvres créées.
Parmi les 25 photographes exposés, les 20 qui ont bénéficié d’une résidence de création à Deauville ont été invités à exprimer leur perception du territoire normand, que ce soit son paysage naturel, son architecture ou ses habitants. Logés ensemble à la Villa Namouna, les photographes ont ainsi une occasion rare d’échanger sur leur travail avec leurs pairs, d’enrichir leur pratique tout en se concentrant sur leur projet pendant les quelques semaines de résidence. Et malgré cette proximité et un sujet d’étude commun, les corpus d’œuvres présentés ont chacun leur identité propre, qui s’inscrit dans la continuité des recherches de chaque artiste.
Dans cette édition du festival, on remarque de nombreuses hybridations entre la photographie et d’autres arts, et spécialement avec la peinture. Certains intègrent les toiles du musée des Franciscaines dans leurs œuvres, comme Max Pam et Salvatore Puglia, qui s’est concentré sur les tableaux d’Eugène Boudin de la côte normande. D’autres, comme Jacopo Benassi, ont un double travail de peinture et de photographie, l’un inspirant l’autre, les deux associés formant l’œuvre. Les paysages brumeux de Matt Wilson, quant à eux, explorent la limite entre peinture et photographie dans le grain de l’image, de légers flous et des disparitions, pour un résultat troublant. Notons également le travail d’Isabelle Scotta dont les images nostalgiques flirtent avec le cinéma dans un flot narratif puissamment évocateur.
Benjamin Decoin et Julien Mignot, tous les deux invités par la fondation photo4food, ont braqué leurs objectifs sur la mer et son horizon, dans une démarche pour capturer l’essence de l’eau pour l’un, de la lumière pour l’autre. Ces sujets qui captivaient également les impressionnistes, comment rendre les mouvements insaisissables de la mer et de la lumière, les placent dans un processus créatif similaire à celui des peintres. En effet, l’observation des variations des éléments les fait travailler sur le motif, composant leur image pendant des temps de pose allant jusqu’à une dizaine d’heures pour Julien Mignot.
Le travail de Jean-François Spricigo s’apparente plutôt à la peinture à l’encre, par ses contrastes forts et ses ambiances liquides. Il a bénéficié d’une résidence grâce à un nouveau partenariat avec le Conservatoire du littoral, déjà à l’origine d’une importante collection de photos. Il découpe le paysage, la faune et la flore avec ses cadrages serrés, souvent très allongés, recomposant un portrait kaléidoscopique de la région. Enfin, les images d’Elina Brotherus, à qui est également consacrée une petite rétrospective dans le square François André, fait référence à la figure de dos face à la nature du peintre Caspar David Friedrich. Ses photographies contemplatives et un peu mélancoliques nous confrontent à l’immensité du paysage.
Comme chaque année, la photographie vient se confronter à l’échelle de la ville, en s’exposant sur les portes des cabines, dans une installation sur l’embarcadère pour Luca Boffi, autour des bassins ou encore sur la plage, avec l’horizon pour cimaise. The Anonymous Project a choisi de mettre l’accent sur l’une des composantes immatérielle de ce paysage : le vent. Ainsi, on voit voler sur les drapeaux le long des planches une sélection de photos couleur d’amateurs, et si vous avez la chance, vous les verrez aussi sur les voiles de certains bateaux.
La ville se retrouve dans les photomontages aux couleurs pastel d’Omar Victor Diop. Il se met en scène autour des villas, des monuments et des bâtiments publics de Deauville, isolés sur un ciel nuageux, pour nous raconter sa flânerie urbaine. De son côté, Thomas Jorion oriente son regard vers les vestiges de béton et d’architectures qui peuplent la côte. Et dans un travail en miroir, il projette cette même côte sur des petits parallélépipèdes de béton, transformant ses photos en objets totémiques.
Plusieurs des photographes de cette édition se sont intéressés aux habitants de Deauville, notamment parmi les participants au programme Tremplin Jeunes Talents. Si Carlo Lombardi s’intéresse à ceux qui portent les traces et les souvenirs de la seconde guerre mondiale, Ousmane Goïta s’est focalisé sur les travailleurs et les liens qu’ils créent avec leur environnement par le travail, en se concentrant sur leurs visages et leurs mains. Julia Lê, lauréate du Prix du Jury, a souhaité redonner aux femmes de chambre des hôtels de la côte un contrôle sur leur image, elles qui se doivent de rester invisibles. Olivier Culmann, quant à lui, nous entraîne à la rencontre du personnel administratif de Normandie, qui semble avalé dans un environnement formaté.
Max Pam, avec son travail en diptyque, rend lui aussi un travail très orienté sur l’humain. Il mêle réalité et onirisme dans ses juxtapositions d’images d’archive, carnets, photos et collages pour un rendu à la fois drôle, cru et surréaliste de sa perception de Deauville. Une rétrospective suit ce travail, dans un parcours autobiographique au fil de ses voyages des années 1970 à 1990. Enfin, nous retrouvons sur la plage les riches américains de Palm Springs confrontés à la jeunesse de Bamako avec l’exposition qui rassemble Robert Doisneau et Malick Sidibé. Avec cette rare série en couleur de Doisneau faite dans les années 1960 et les images en noir et blanc pour beaucoup inédites de Sidibé des années 1970, de nombreux parallèles s’établissent entre les deux photographes et ces mondes opposés, avec beaucoup d’humour.
Cette quatorzième édition du festival Planches Contact est riche de découvertes aussi poétiques qu’engagées. De l’intime à l’infini de l’horizon, une fois encore ses photographes nous offrent une vision plurielle et sans cesse renouvelée du territoire deauvillais.
Planches Contact
Du 21 octobre 2023 au 07 janvier 2024
Deauville
Visuels :
1- © Omar Victor Diop, 19h30, Planches Contact 2023
2- affiche Planches Contact 2023
3- © Max Pam, Time machine dreaming in Deauville, Planches Contact 2023
4- © Julia Lê, Tremplin Jeunes Talents, Planches Contact 2023
5- © Isabelle Scotta, Tremplin Jeunes Talents, Planches Contact 2023
6- © Benjamin Decoin, Invité avec la fondation photo4food, Planches Contact 2023