L’historien, l’académicien, le maître d’œuvre des monumentaux Lieux de mémoire, s’est éteint ce lundi 2 juin à l’âge de 93 ans. La disparition de Pierre Nora marque la fin d’une ère pour l’école de la Nouvelle Histoire.
C’est à Pierre Nora que l’on doit de ne pas confondre la mémoire et l’histoire, c’est lui qui a fait de la mémoire un objet d’histoire. C’est lui qui nous a appris que même un mot peut devenir ce qu’il a nommé : un Lieu de mémoire.
Pierre Nora était peut-être le plus connu de nos historiens, il était régulièrement sollicité pour justement éclairer les tempêtes sociétales autour d’un 8 mai férié ou non, ou en s’opposant à l’idée même des lois mémorielles, comme en 1990 au moment du débat sur la Loi Gayssot tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.
Son nom restera indissociablement lié aux «Lieux de mémoire», cette œuvre gigantesque en sept volumes, publiée entre 1984 et 1993. Un projet titanesque qui a mobilisé pas moins de 130 historiens, des figures comme Raoul Girardet, Maurice Agulhon, Antoine Prost et Pascal Ory, pour décrypter les symboles, les monuments et les récits qui façonnent notre identité nationale. Des trois couleurs du drapeau à la Marseillaise, du Panthéon aux monuments aux morts, Nora a mis en lumière la manière dont la France se raconte et se construit.
Au-delà de cette entreprise magistrale, Pierre Nora a marqué les éditions Gallimard, qu’il a rejointes en 1965, où il a régné sur les collections de sciences humaines. Il a également fondé et dirigé chez Gallimard la prestigieuse revue Le Débat en mai 1980, il avec le philosophe Marcel Gauchet ; elle devient vite l’une des revues intellectuelles françaises majeures, jusqu’à l’arrêt de sa publication en septembre 2020.
Il fut également directeur d’études à l’EHESS et enseignant à Sciences Po, il a formé des générations d’étudiant.e.s et marqué durablement la recherche en sciences humaines. Son élection à l’Académie française en 2001 a couronné cette carrière exceptionnelle.
Comme l’a souligné l’historien Steven Englund en 2011, Pierre Nora a « changé la manière dont on écrit l’histoire », en remettant en question l’approche positiviste et en enrichissant notre compréhension du passé par l’étude de ses traces et de ses représentations. Ses deux livres Souvenirs, Jeunesse (2021) et Une étrange obstination (2022), publiés évidement chez Gallimard, offrent un regard intime sur ce parcours hors normes.
Avec la disparition de Pierre Nora, la France perd l’un de ses plus grands éclaireurs, un homme qui a su interroger notre passé pour mieux comprendre notre présent et façonner notre avenir. Son œuvre et son influence demeureront des piliers pour quiconque cherche à déchiffrer les méandres de notre identité collective. Pillier de la Nouvelle Histoire, il a révolutionné notre façon de comprendre « le sentiment national ».
Ces lieux de mémoire étaient viscéralement inscrits dans son histoire intime. Juif ashkénaze, il a échappé à la déportation en se réfugiant en zone libre, à Grenoble. Il était l’époux d’Anne Sinclair et père d’un fils, Elphège-Pierre Nora.
Visuel : CC BY-SA 3.0