Dans son film documentaire Personne n’y comprend rien, coproduit par Mediapart, le réalisateur Yannick Kergoat cherche à expliquer et à retracer les faits reprochés à Nicolas Sarkozy dans l’affaire dite des « financements libyens » de sa campagne présidentielle de 2007, dont le procès a été ouvert le 6 janvier dernier. Le film, fort d’une grande actualité, s’impose comme un récit important, relevant son objectif haut la main.
Dès les premières secondes, l’objectif est posé : le film cherche à répondre aux propos de Nicolas Sarkozy dans le Figaro Magazine le 16 août 2023 :« Les Français sont bien en peine de résumer ce qu’on me reproche. Personne n’y comprend rien ». Il ne s’agit pas de spécifier la culpabilité de l’ex-Président de la République, dont le procès relatif au financement libyen de sa campagne électorale de 2007 s’est ouvert ce lundi 6 janvier, mais bien d’essayer d’expliquer les faits qui lui sont reprochés, et de montrer les preuves qui les établissent. Et dans ce cadre, le film est un succès : le spectateur sort en ayant effectivement compris, grâce à l’esprit de synthèse impressionnant de Yannick Kergoat, à la fois les détails de l’affaire, mais aussi la nécessité du film alors même que les faits sont techniquement complexes et difficilement dénouables.
Le film prend, du fait de sa dimension explicative et factuelle, un aspect très aseptisé, qui le détache d’une fonction véritablement créative : les témoins sont interrogés dans un appartement vide, les images d’archives sont projetées sur un mur blanc, … Personne n’y comprend rien se rapproche donc des reportages télévisés d’investigation plus que d’un véritable film de cinéma. Un dépouillement artistique pourtant efficace, qui sert l’objectif du réalisateur en permettant effectivement au spectateur de se concentrer sur le récit raconté.
Toute l’enjeu du documentaire est de rendre dynamique une affaire essentiellement basé sur des faits techniques. Yannick Kergoat prend dès lors le parti pris d’un récit non chronologique, sous la forme d’une enquête d’investigation, mise en voix par Florence Loiret Caille, actrice du Bureau des Légendes, et par les journalistes de Mediapart Fabrice Arfi et Karl Laske, principaux acteurs dans la diffusion de l’affaire.
Fort de cette perspective journalistique, le film met en avant des personnages clés de l’affaire, qui incarnent l’affaire et la rendent dès lors compréhensible. Ziad Takieddine, homme d’affaire libanais, ouvre le bal. Ses relations avec Nicolas Sarkozy, remontant à la campagne présidentielle d’Édouard Balladur et à l’affaire Karachi, sont rappelées avant que son rôle d’intermédiaire entre l’équipe de Nicolas Sarkozy et le gouvernement libyen dès 2005, qui aurait permis des rencontres secrètes et des transferts d’argent pour financer la campagne du futur Président, attestés par la « note Koussa ». Plus tard, Ziad Takieddine témoignera contre Nicolas Sarkozy, avant de se redire sur BFM-TV en 2020. La figure de Mimi Marchand, proche amie de Carla Bruni, la femme de Nicolas Sarkozy, fait aussi l’objet d’une attention particulière. Mise en examen en 2021, elle est entre autre accusée d’avoir exercé une pression financière sur Takieddine pour obtenir sa rétractation.
Si l’on regrette l’absence de contradiction dans le film, qui n’interroge pas directement les protagonistes de l’affaire, ce choix nous est explicité à la fin du documentaire : « Nicolas Sarkozy et son cabinet ont refusé catégoriquement de répondre aux questions de Mediapart sur l’affaire ». Leur voix est donc retranscrite à travers une série d’archives télévisuelles, et mis en écho avec quatre témoignages réalisés dans le cadre du documentaire : François Molins, ancien procureur de la République, Julia Cagé, économiste spécialiste des médias, Danièle Klein, soeur d’une des victimes de l’attentat du DC-10 UTA et Patrick Haimzadeh, ancien diplomate en Libye. La parole de ces quatre experts et témoins constitue la force du film, car replacent l’affaire « Sarkozy-Kadhafi » dans un contexte politico-social particulier, et l’analysent dans ce qu’elle révèle du fonctionnement de la politique française et de la confiance actuelle des citoyens dans les institutions républicaines, en particulier médiatiques et judiciaires.
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