Les éditions L’œil ébloui poursuivent leur projet de « dire son Perec en 53 livres de 53 pages par 53 artistes ». Après les quatre premiers volumes signés Jacques Bens & Georges Perec, Thierry Bodin-Hullin, François Bon et Yokna, c’est au tour de Claro, Anne Savelli et Antonin Crenn de se coller à ce délicieux exercice.
Christophe Claro, plus connu sous le simple nom de Claro, traducteur de Thomas Pynchon, Salman Rushdie, Mark Z. Danielewski, etc. choisit de faire du roman de Perec, La Disparition, un grand livre sur…la traduction. Reprise d’une intervention faite lors du festival Ecrivains en bord de mer en juillet 2017, le texte aborde de façon décalée La Disparition, « un roman dans lequel ne cesse de disparaître la lettre ‘e’ ». Claro s’amuse à traduire en français une traduction anglaise de La Disparition, dans un savant aller-retour. Claro se pose des questions, divague, cherche des références à la biographie de Perec pour revenir encore et toujours à ce qui l’obsède : la traduction. Le livre de Perec est « un livre sur l’impossibilité et la nécessité de l’équivalence. On ne peut remplacer ce qui n’est plus. » Perec cherche à représenter le réel, tout en s’imposant une forte contrainte ; le traducteur cherche à traduire le texte, tout en se frottant à des contournements, des équivalences bancales et, finalement, à un langage incomplet. « Si je dois traduire le monde et que le monde est langage, comment m’y prendre si l’on m’interdit de citer le monde tel qu’il existe dans ma mémoire. »
Plus autobiographique, le texte d’Anne Savelli (Musée Marylin, Franck, Décor Lafayette…) revient sur les liens que ses propres écrits entretiennent avec les livres de Georges Perec. Déambulant dans Paris, l’auteure nous prend la main pour nous faire ressentir la relation particulière qu’elle entretient avec Perec, une relation qu’elle espère finalement universelle : « Perec m’a dit oui, comme à tout le monde et, comme tout le monde, j’ai compris que c’était à moi qu’il parlait ». Anne Savelli revient particulièrement sur La Vie mode d’emploi qu’elle a lu sur la ligne 2 du métro parisien, à une période précaire de sa vie professionnelle. Elle évoque également le choc que fut la lecture d’Un homme qui dort : « Jamais je ne m’étais, je crois, aussi nettement retrouvée dans un personnage à l’écart du monde, quand bien même l’expérience qu’il entreprenait, et que le terme dépression m’a semblé, plus tard, réduire, se situait aux antipodes de ce dont je pouvais rêver ». Le texte n’est pas non plus avare en réflexions sur les relations qu’entretiennent l’écriture et les espaces.
Le dernier texte de cette fournée de trois livres est malheureusement le plus faible. C’est le jeu de la commande et de l’exercice imposé : parfois, l’auteur ne sait qu’en faire et paraît bien peu inspiré. Dans Terminus provisoire, Antonin Crenn revient sur ses vingt premières années dans la ville de Le Pecq, dans les Yvelines, une sorte de non-ville écrasée par Paris et Saint-Germain-en-Laye. L’auteur parle à la première personne, mais invente également un personnage pour lequel il aimerait inventer une histoire. « J’écris à propos de ces lieux pour me souvenir des bulles de vie qui sont restées suspendues dans l’air, encapsulées dans l’épaisseur des murs, enfouies dans le sol que nous avons foulé ensemble. » Trop personnel et parisiano-centré, le texte peine à intéresser, alors que quelques références à Georges Perec, car il le faut bien, sont disséminées ça et là.
Une seule lettre vous manque, CLARO, Editions L’œil ébloui, 53 pages, 12 euros
Lier les lieux, élargir l’espace, Anne SAVELLI, Editions L’œil ébloui, 53 pages, 12 euros
Terminus provisoire, Antonin CRENN, Editions L’œil ébloui, 53 pages, 12 euros
Visuel : Couverture du livre de Claro