Pour ses 40 ans, le festival baroque célèbre aussi les 400 ans de Christine de Suède. Entre hommage historique et audace contemporaine, le directeur artistique Pascal Bertin révèle un programme où Vivaldi flirte avec le jazz, où Carmen s’invite dans la rue, et où le mécénat devient un sujet brûlant.
Le fil conducteur du festival repose sur le repérage d’anniversaires marquants : compositeurs, œuvres ou personnalités ayant joué un rôle significatif dans l’histoire de la musique. Cette année, plusieurs jalons coïncident : les 300 ans de la disparition d’Alessandro Scarlatti, les 100 ans de la création de la Société des Musiques d’Autrefois – fondée par Geneviève Thibault de Chambure – et le 50e anniversaire de son décès. Tous ces événements convergent naturellement vers Christine de Suède, mécène incontournable de Scarlatti.
Christine, née en 1626, incarne selon moi l’un des piliers philanthropiques de l’histoire musicale. Nous célébrons son anniversaire avec une légère avance, en l’inscrivant dans la saison 2025–2026.
Par ailleurs, dans le contexte actuel de restriction des subventions publiques pour la culture, la question du mécénat s’impose plus que jamais. À notre époque, chaque structure artistique est en recherche de nouveaux et nouvelles « Christine de Suède ».
Historiquement, jusqu’à la fin du XIXᵉ siècle – époque où l’artiste romantique est souvent réduit à un créateur pauvre et tourmenté –, la musique est avant tout sujette à commande. Compositeurs, clercs, communautés religieuses ou églises écrivaient exclusivement pour leurs mécènes ou pour un usage liturgique. L’idée de composer pour soi-même n’existait pas.
Le concept de postérité est également un phénomène récent : la redécouverte et la reprise des œuvres anciennes ne sont devenues monnaie courante qu’à partir du XIXᵉ siècle. Avant cela, on jouait surtout de la musique contemporaine ou des pièces populaires selon le moment.
La structuration en deux actes est pragmatique, elle dépend principalement des saisons. Le premier acte s’ouvre le 27 septembre par un concert de gala autour des Quatre Saisons de Vivaldi, œuvre initialement dédiée à Wenzel von Morzin et publiée par l’éditeur Michel-Charles Le Cène. Grâce à des invités prestigieux, nous y associerons des variations stylistiques, allant du baroque au jazz en passant par la mélodie.
Citons notamment Emmanuelle Haïm, Philippe Jaroussky, Ophélie Gaillard, Lambert Wilson, Julie Depardieu, Laurent Naouri, Ambroisine Bré et Édouard Ferlet. Chaque saison de Vivaldi sera augmentée d’œuvres complémentaires : un air baroque, un extrait de mélodie romantique, un morceau de Piazzolla en trio ou encore du jazz… Au Festival baroque de Pontoise, jusqu’à la fin du mois d’octobre, les concerts se tiennent dans des églises, car les températures sont encore douces. Par la suite, les rendez-vous se déplacent vers les salles chauffées de nos partenaires – scènes nationales et théâtres.
Le 28 septembre, à l’abbaye de Royaumont (Val d’Oise), sera donné Carmen de Jeanne Desoubeaux, (lire notre article) joué aussi en version de rue gratuite à Cergy lors du Festival de Cergy. Cette adaptation interroge l’œuvre originale – centrée sur le féminicide et la domination masculine – en la recontextualisant à notre époque.
Ensuite, le second acte propose en mai et en deux parties un Didon et Enée, œuvre baroque enrichie de textes shakespeariens. La mise en scène est signée Pierre Lebon et propose un dialogue entre patrimoine musical et questionnements contemporains. Les jeunes publics seront sensibilisés grâce à des actions de médiation.
Alors que les résidences du Festival Baroque de Pontoise durent trois années, l’ensemble Il Caravaggio conclut son parcours et passe le relais au Caravansérail, dirigé par Bertrand Cuiller et co-dirigé par Myriam Mahnane. Ils proposeront deux spectacles Jeune Public lors du deuxième acte : le 11 avril, ce sera Le Rossignol et l’Empereur de Chine qui mêlera musiques anciennes et création contemporaine de Vincent Bouchot avec des ombres chinoises. Le 17 mars, l’Apothéose de Monsieur Violon retracera l’essor du violon, autrefois instrument populaire, jusqu’à sa place centrale dans la musique classique. C’est une fable sur la réussite malgré les difficultés, abordée comme une véritable histoire humaine.
La révolution baroque des années 1980 est aujourd’hui pleinement implantée. La musique historiquement informée s’est imposée dans les orchestres philharmoniques, les conservatoires – où j’enseigne à Paris et La Haye – et dans le cœur des musiciens, jeunes ou confirmés.
Cependant, les moyens deviennent rares, et l’on sollicite de plus en plus le croisement des disciplines : danse, cinéma, numérique. Si ces croisements sont souvent source d’enrichissement, j’espère que l’on gardera la place pour des concerts consacrés uniquement à la musique de répertoire.
Je crois également que l’avenir de la musique ancienne repose sur la collaboration avec des compositeurs contemporains – les encourager à créer pour des instruments anciens –, ainsi que l’usage réfléchi des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle.