« Paris noir » au Pompidou, une exposition fleuve qui rejoue les mécanismes d’invisibilisation ?

Une exposition type « Pompidou »

Segmenté en quinze fragments, l’événement place Paris en point d’orgue. En clin d’œil à ses premières expositions (« Paris-New York », en 1977, « Paris-Berlin », en 1978, « Paris-Moscou », en 1979), « Paris noir » semble clore cette boucle.  Nécessaire et loin d’être fréquent, ce panorama met en lumière 150 artistes noir.e.s, pour la grande majorité méconnu.es du grand public. Présenter ces noms au Centre Pompidou permet de les intégrer à un panthéon artistique qui n’échappe pas au racisme systémique. Néanmoins, ce point de vue, centré sur le lien entre la capitale et les artistes noir.e.s, n’offre en réalité aucun angle à cette exposition fleuve dans laquelle on se perd. 

Aux airs intellects, les salles ne se plongent pas dans de véritables réflexions antiracistes et anticoloniales que le titre brandit pourtant en étendard. Présenter une série exhaustive d’artistes datant de la fin du XXᵉ siècle, semble davantage aider le musée à fermer ses portes en faisant devoir de morale, que de s’inscrire réellement dans une volonté de décolonisation de ses propositions artistiques et de son système en tant qu’institution culturelle.

Face à une installation de cette importance, où est la transparence quant au travail des équipes ? Où est la transparence quant à la bibliographie des œuvres, aux recherches, aux documents sur la question décoloniale et antiraciste ? Où sont les contrepoints contemporains qui mettraient en lumière des artistes noir.e.s vivant.e.s tout en permettant d’approfondir une réflexion encore brûlante d’actualité, à l’ère où Trump interdit le mot « black » ? 

Une proposition « anticoloniale » de surface

Cette exposition qui témoigne d’une volonté de la part du Centre Pompidou et de ses équipes de décoloniser ses propositions artistiques, et même de provoquer : « une prise de conscience patrimoniale, intellectuelle et politique » n’empêche pas une impression étrange lors de la déambulation.  

Premièrement, il n’y a pas d’encart explicatif qui contextualiserait les enjeux historiques, notamment concernant la responsabilité française liée à la colonisation et au racisme institutionnel, politique et culturel. Seule la frise chronologique préambulaire propose quelques lumières quant aux dates d’indépendances de certains pays africains.  

Deuxièmement, placer Paris comme berceau artistique pour les artistes noir.e.s, installe la ville presque comme un espace d’accueil neutre et non pas complice d’oppressions systémiques envers les personnes noires et racisées.  Soit, peut-être que l’exposition souhaitait se placer davantage dans une volonté de célébration et d’hommage envers ces artistes.

Cependant, éluder cette partie, invisibilise l’histoire et le combat de ces personnes, l’inscription de la France et de Paris dans une oppression collective, tout en omettant la raison pour laquelle il est encore rare d’avoir des expositions qui s’inscrivent dans la lutte antiraciste et décoloniale. Il aurait été appréciable pour le public d’avoir une note d’intention à l’entrée de l’installation, afin de savoir comment se situent la commissaire d’exposition et les commissaires associé.e.s. 

Chris Cyrille : une parole nécessaire

La semaine dernière, Chris Cyrille s’est exprimé sur Instagram à ce sujet. Critique, curateur et chercheur en philosophie, ce dernier a travaillé pendant plus d’un an au sein du musée, en tant que chargé de recherches, « sur les questions postcoloniales et décoloniales ». 

Dans son post, le chercheur fait acte d’une violence institutionnelle : son travail, bien que fait dans le cadre d’une autre exposition annulée à cause du Covid (Basquiat et l’Afrique), n’a pas été crédité, ni remercié, ni inscrit quelque part. Effacé, silencié, il prend la parole publiquement et dénonce l’agissement de la commissaire Alice Knock, qui s’inscrit dans des mécanismes d’invisibilisation qu’elle cherchait pourtant à défaire en présentant cette exposition. Cette dépossession de son travail, de ses recherches et de sa voix soulignent la nécessité d’un changement structurel, un bouleversement de fond. 

« Il n’est pas toujours pas normal qu’un corps noir – moi, en l’occurrence – subisse ces formes d’extractivisme du savoir et de violence institutionnelle, perpétrées par des figures blanches, qui sous couvert d’alliance, participent en réalité à l’invisibilisation des travaux de chercheuses et de chercheurs noirs ». 

La mise en lumière d’artistes silencié.e.s

Au-delà de ces problématiques, que l’on se doit de mettre en avant et de souligner, « Paris noir » est bien évidemment utile et nécessaire. Si le panorama est aussi large, c’est que l’on ne saurait par où et par qui commencer. 

De fait, pour aller déambuler dans cette installation il faut avoir le temps, voire s’y prendre à deux reprises afin d’intégrer au mieux les noms, les œuvres et les impressions de cette circulation artistique.

Ainsi, un détour au Centre Pompidou permettra d’en apprendre plus sur Romate Bearden et ses collages, Beauford Delaney, ses peintures abstraites et sa relation avec Baldwin ou encore Luce Turnier et ses fusions artistiques. La découverte de ces artistes qui ont toutes et tous un rapport particulier à Paris tout en en faisant partie intégrante, nous donne envie d’en savoir plus et de se plonger dans leurs œuvres respectives. 

La mise en lumière d’artistes silencié.e.s

Au-delà de ces problématiques, que l’on se doit de mettre en avant et de souligner, « Paris noir » est bien évidemment utile et nécessaire. Si le panorama est aussi large, c’est que l’on ne saurait par où et par qui commencer. 

De fait, pour aller déambuler dans cette installation il faut avoir le temps, voire s’y prendre à deux reprises afin d’intégrer au mieux les noms, les œuvres et les impressions de cette circulation artistique.

Ainsi, un détour au Centre Pompidou permettra d’en apprendre plus sur Romate Bearden et ses collages, Beauford Delaney, ses peintures abstraites et sa relation avec Baldwin ou encore Luce Turnier et ses fusions artistiques. 

La découverte de ces artistes qui ont toutes et tous un rapport particulier à Paris tout en faisant partie intégrante, nous donne envie d’en savoir plus et de se plonger dans leurs œuvres respectives. 

Sans aucun doute, la fermeture du musée permettra un renouvellement certain. Il n’y a plus qu’à espérer qu’à sa réouverture, le Centre Pompidou revienne avec une vision éclairée, une audace réaffirmée et un véritable engagement.