Le Week-end à l’Est 2023 se termine par un débat au Théâtre de l’Odéon: «Menaces sur la démocratie: les artistes géorgiens en équilibre». Le débat animé par Ulysse Manhes, réunit les écrivains(es) Nana Ekvtimishvili, Nino Haratischwili et Emmanuel Carrère. Il nous éclaire sur le présent et l’avenir de la Géorgie.
Nino Haratischwili nous raconte cette légende qui est presque officielle en Géorgie. Un jour Dieu créa une sorte de foire afin de distribuer les terres aux différents peuples. Certaines étaient fertiles d’autres non et beaucoup de peuples étaient mécontents. Dieu avait gardé pour lui la meilleure parcelle, quand il rencontra un géorgien endormi au pied d’un arbre. Dieu le réveille et l’interroge. Le géorgien lui répond: je suis bien là et je serai content de ce que tu me donneras. Alors Dieu lui confia la terre qu’il s’était réservé.
Emmanuel Carrère le confirme, il y a de la joie et du rire en Géorgie. Il a été séduit par le pays , ses paysages, son vin, sa gastronomie. Oui, il y a de la joie malgré la pauvreté, le chaos des années 90, les deux guerres de 1991 et 2008 . Malgré ou peut être grâce aux menaces qui donnent à la vie toute sa valeur, toute son intensité.
Nana Ekvtimishvili est une cinéaste et écrivaine géorgienne. Elle est la marraine du festival. L’invitée d’honneur, Nino Haratischwili est une écrivaine géorgienne qui vit à Hambourg. Elle écrit ses romans en allemand. Emmanuel Carrère avait un grand-père maternel géorgien, arrivé en France en 1921. Il a redécouvert ses racines géorgiennes récemment et a visité le pays pour la première fois l’année dernière.
Les débatteurs ont abordé la situation politique géorgienne. Ils déplorent la corruption, l’influence majeure des oligarques russophiles mais aussi les menaces et entorses à la liberté d’expression. Mais la Géorgie n’est pas une dictature, les artistes gardent des moyens de résistance, le peuple peut même faire reculer le pouvoir comme récemment sur une voie liberticide. Emmanuel Carrère souligne un paradoxe: le gouvernement est plutôt russophile, même s’il le masque alors que le peuple souhaite un rapprochement avec l’Europe. Pour les artistes ici présents la culture géorgienne est européenne. Pour la Géorgie l’Union Européenne représente la sécurité. Alors que la menace russe est omniprésente. Les géorgiens pourraient être les suivants sur la liste! Tout le monde se souvient de la guerre de 2008 et la guerre en Ukraine à ré ouvert les plaies! Comme le soulignent les débatteurs, la Géorgie vit une situation paradoxale, elle doit accueillir depuis 2022 les réfugiés du pays qui occupe une partie de son territoire.
La littérature a tenu une place importante dans cette conférence. Une littérature qui reste très marquée par la guerre et le chaos post soviétique. Le livre de Nino Haratischwili, Le Chat, Le général et la Corneille est consacré à la guerre en Tchétchénie. Le verger de poires, le premier roman de Nana Ekvtimishvili parle de l’enfance désolée à Tbilissi, dans les années 90. Car la violence de cette période reste gravée dans la mémoire de sa génération.
La grande salle du Théâtre de l’Odéon était comble. Cette conférence est une réussite. Elle nous a éclairé sur la situation de la Géorgie, sur ses perspectives d’avenir. Elle s’est appuyée sur la littérature pour mieux nous faire ressentir le vécu des géorgiens. Le débat nous montre à nouveau l’importance de ce Week-end à l’Est pour que les Européens de l’Ouest et de l’Est se connaissent, se comprennent mieux. Nino Haratischwili a parcouru l’Allemagne pour présenter son dernier roman. Elle a été confrontée au manque d’intérêt des Européens de l’ouest, leur défaut de connaissance aussi. «Les peuples des Balkans et du Caucase seraient interchangeables, habitant dans une zone grise». Les deux écrivaines ont souhaité que la paix dont bénéficient certains Européens n’entame pas leur empathie, leur compassion pour les peuples faibles ou opprimés.
Des Ukrainiens étaient présents dans la salle. À la fin de la conférence les débatteurs et le public ont exprimé «la solidarité des ébranlés» pour les Ukrainiens et aussi pour les Arméniens. L’année prochaine le week-end à l’Est est dédié à Erevan, Arménie
Visuel ©: Affiche du festival
Visuel (c): JMC