Dans « Ailleurs chez moi », l’écrivain américain Douglas Kennedy explore les fractures qui traversent l’Amérique jusque dans sa propre famille. Mais il parle aussi de son identité américaine, de son profond attachement à son pays.
« Tu détestes tout ce que je suis ». Enfant, Douglas Kennedy a vécu cette douloureuse parole maternelle, témoignant d’une profonde discorde familiale. Elle pourrait s’appliquer à l’Amérique tout entière car, aux USA, une Amérique progressiste, pluraliste, laïque fait face à une « nation unie sous l’autorité de Dieu ».
Ces fractures sont anciennes remontant aux années soixante. Pour les comprendre, il se retourne vers son enfance et son adolescence à New York. Il parle avec nostalgie de l’East-Village, un lieu de liberté et d’anticonformisme même si la violence était omniprésente dans la ville et dans le pays. Sa jeunesse est marquée par la mésentente de ses parents et par le conflit avec un père « enragé par tout ce qui compromet la domination masculine blanche ». A l’université, il arrive à se dégager d’un certain conformisme social réducteur.
L’auteur met en lumière les lignes de forces et les fragilités de l’identité américaine. D’abord le mythe des grands espaces : la route est une métaphore de la liberté, de la possibilité d’une vie romanesque, renouvelée comme dans le roman de Jack Kerouac « Sur la route ». Mais il déplore le fétichisme de l’argent, ce baromètre de la vie américaine, l’aggravation des inégalités sociales, le poids de la religion et de ceux qui veulent que Dieu dicte ses lois au pays.
« Ailleurs chez moi » est un récit agréable à lire, convaincant, éclairant. Le lecteur appréciera l’humour de Douglas Kennedy, souvent drôle, parfois caustique. Il enrichit son livre de détours par l’histoire, la littérature, la musique. Sa démonstration s’appuie aussi sur des exemples. Ainsi le lecteur découvrira dans les plaines du Kansas l’isolement des zones rurales, Amarillo (Texas) sur la route 66, « là où la vie ne coûte presque rien », la Nouvelle Orléans, « une oasis de décadence au cœur du conservatisme sudiste ».
Il fait appel à l’histoire pour expliquer le fondamentalisme religieux présent dès les premières colonies puritaines. Les « Grands Réveils » évangéliques ont suivi de nombreuses crises. Cette crainte de l’extrémisme religieux a conduit les Pères Fondateurs à inscrire, dans la constitution, la séparation de l’église et de l’état. Les références littéraires sont nombreuses, très signifiantes. Ainsi il cite Harper Lee « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur» comme le roman qui met en scène un simple citoyen devenu justicier, une figure majeure de l’imaginaire collectif. La musique a été son refuge et sa passion. Douglas Kennedy a écrit de très belles pages sur le Jazz, cette musique créée aux USA. Le Jazz est devenu l’âme des grandes villes américaines, l’expression des capacités d’improvisation, d’inventivité du pays.
« Ailleurs chez moi » est paru quelques semaines avant la ré-élection de Donald Trump. A la fin du livre Douglas Kennedy ne cache pas son inquiétude. Il termine par une question sans réponse : « Je suis un américain profondément tiraillé. Est-il possible d’aimer et de craindre son pays à la fois ? ».
Douglas Kennedy, Ailleurs chez moi, traduit de l’américain par Chloé Royer, Belfond, 264 pages, 22 Euros, sortie le 03 10 2024.