Infatiguable championne du cinéma slovène à l’international, Nerina Kocjančič est responsable de la promotion et de la distribution auprès du Centre slovène du cinéma, co-organisateur, avec l’Ambassade de Slovénie en France, du Festival du film slovène à Paris. Dans le bar douillet de l’Entrepôt, Nerina Kocjančič partage avec nous son amour du cinéma et ses projets pour la promotion du film slovène.
Nous avons organisé le premier Festival du film slovène à Paris en 2022 et, pour la deuxième édition, je souhaitais proposer un programme attractif pour Paris, où l’offre culturelle est si riche. Le film Family Therapy de Sonja Prosenc était déjà distribué en France, et nous savions également que le film d’Urška Djukić, Little Trouble Girls, allait l’être prochainement [sortie dans les salles le 11 mars 2026]. Le producteur a accepté que nous le projetions en avant-première. Outre ces deux longs métrages, j’ai pensé inclure quelques courts métrages, le format qui a remporté un vif succès lors de la première édition du festival. Mais la sélection de cette année ne m’a pas semblé assez intéressante, j’ai donc opté pour deux documentaires, car nos documentaristes sont elles aussi de plus en plus performantes.
Le dernier jour du festival, nous avons alors présenté deux documentaires. Le premier est l’un des plus captivants de ces dernières années. La réalisatrice Maja Prettner y aborde un tout nouveau sujet, celui des femmes pasteurs évangéliques en Slovénie, tandis que pour le documentaire sur les bergers dans les montagnes macédoniennes de la réalisatrice Petra Seliškar, nous recherchons des possibilités de distribution en France, donc il m’a semblé opportun de le présenter à Paris. Quand j’ai décidé d’ajouter le film d’Ester Ivakič, Ida, qui chantait si mal que même les morts se sont levés de leurs tombes pour chanter avec elle, j’ai réalisé que, pour la première fois, nous présentions une sélection majoritairement réalisée par des femmes. J’ai également inclus dans le programme le film restauré de Milan Klopčič, Sur des avions en papier, qui a été projeté à Cannes en 1968, et le film pour jeunes Blok 5 de Klemen Dvornik, le meilleur film slovène de ce genre de ces dernières années, qui a été présenté en avant-première dans le programme Cinekid du festival du film de Locarno.
La féminisation de la profession est sans doute liée à la pénurie des fonds. À l’époque de la Yougoslavie, lorsque les moyens mis à disposition du cinéma étaient importants, les réalisateurs masculins établis barraient tout simplement l’accès aux femmes. Ils n’ont pas non plus laissé entrer les jeunes réalisateurs masculins qui apportaient des idées différentes. Après l’indépendance de la Slovénie, les budgets alloués au cinéma ont été nettement inférieurs à ceux en ex-Yougoslavie, tout comme les cachets, en particulier pour les films documentaires réalisés pour la télévision publique, où les réalisatrices travaillaient le plus souvent. Il faut reconnaître qu’il est difficile pour un cinéaste de vivre uniquement de la réalisation de films, la plupart d’entre eux enseignent aussi, entre autres. Depuis les années 90, de plus en plus de femmes étudient la réalisation, et aujourd’hui, la tendance en dehors de la Slovénie est favorable aux femmes. Chacun de ces facteurs a contribué à ce changement.
La cinématographie nationale est composée d’auteurs de différentes générations et nous n’avons aucun auteur de l’ancienne génération, c’est-à-dire un auteur qui ait déjà sept ou huit films à son actif. Dans la dernière et l’avant-dernière génération de créateurs, nous avons quelques noms, par exemple Hana Slak et Damjan Kozole, qui sont un peu plus connus, mais aucun d’entre eux n’a été sélectionné, par exemple, pour Cannes. Car si vous êtes sélectionné à Cannes, vous gagnez en notoriété et vous entraînez toute la cinématographie dans votre sillage, mais jusqu’à maintenant, cela ne s’est malheureusement pas produit. Damjan Kozole a encore une chance d’être sélectionné à Cannes. Il a reçu le prix de la meilleure réalisation à Karlovy Vary, mais cela ne suffit pas. J’aimerais beaucoup que son dernier film, que j’ai vu récemment et qui est très fort, soit sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, d’autant plus que Julien Rejl, le directeur de la Quinzaine, m’a écrit qu’il aimerait suivre le cinéma slovène.
Certains suivent les tendances, d’autres moins. Urška Djukić et Sonja Prosenc, par exemple, suivent les tendances. Le film Ida est déjà plus spécifique, notamment parce qu’il est très personnel et étonnant. Certains, principalement des réalisateurs masculins de l’ancienne génération, se moquent des tendances mondiales et réalisent depuis quelques années des films qui, malheureusement, ne parviennent même pas à atteindre le public national et les festivals. Et puis, il y a des réalisateurs comme Peter Bratuša, qui tournent principalement pour le marché national, par exemple le film commercial pour jeunes très réussi Gajin svet (L’univers de Gaja). En Slovénie, nous avons une tradition de films de jeunesse et tous ceux qui se lancent dans ce genre savent qu’ils obtiendront une forte fréquentation dans les cinémas nationaux. Actuellement, nous avons dans les salles le film Le blanc se lave à 90 degrés du réalisateur Marko Naberšnik, qui a été réalisé d’après le plus grand succès littéraire de ces dernières années. Grâce à son sujet et à un bon marketing, le film a attiré 25 000 spectateurs dans les salles en une semaine, un succès retentissant. Je pense que les Slovènes sont des cinéphiles passionnés.
Oui, il est important que les enfants et les adolescents regardent des films en slovène, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils apprécieront plus tard les films artistiques. Pour cela, une éducation cinématographique est nécessaire. Tout comme les gens s’initient à la littérature, y compris internationale, ils se familiarisent aussi avec l’histoire du cinéma. Malheureusement, notre système éducatif n’a pas encore compris qu’il faut former un bon spectateur de cinéma comme on forme un bon lecteur de livres.
Le Centre slovène du cinéma produit et promeut les films slovènes. En France, deux institutions s’en chargent : le CNC pour la production et UniFrance pour la promotion. Les Scandinaves ont regroupé dans leurs centres cinématographiques toutes les activités liées au cinéma, la production, la promotion et la cinémathèque. Dans notre centre, nous avons regroupé la production et la promotion. Nous nous occupons également en partie de la restauration, mais nous sommes séparés des archives cinématographiques et de la cinémathèque. À mon avis, toutes ces activités devraient être regroupées selon le modèle scandinave, mais cela prend du temps.
En ce qui concerne la promotion du cinéma slovène à l’étranger, qui relève de ma responsabilité, nous présentons des films sur trois marchés : à Cannes, à Berlin et au marché du court métrage de Clermont-Ferrand. Nous essayons de présenter nos films dans les festivals les plus prestigieux, mais cela devient de plus en plus difficile, car nous produisons plus de 4 000 films par an en Europe et tous ces festivals ont des capacités limitées. C’est pourtant le seul moyen de permettre à un film de bien tourner à l’étranger. Si un film n’est pas présenté en première mondiale dans des festivals clés comme Cannes, Venise et Berlin, c’est beaucoup plus difficile. Il faut alors trouver un autre moyen pour l’accompagner.
Nous produisons environ dix longs métrages par an. Outre le Festival du film slovène à Paris, qui sera organisé tous les deux ans – le prochain aura lieu en 2027 –, nous organisons aussi un festival annuel du film à Budapest, qui en est déjà à sa dixième édition. Mais aussi à Belgrade, à Pula et à Sarajevo, c’est-à-dire dans l’ancienne Yougoslavie, et depuis quelques années également à Berlin. Nous organisons aussi des journées du cinéma slovène, par exemple il y a quelques années au Portugal, mais aussi en Italie, à Rome et ailleurs. Il serait probablement judicieux d’établir un festival du film à Vienne, chaque année ou tous les deux ans. Nous avons également un centre culturel slovène à Vienne et à Berlin, et je pense qu’il faudrait en créer un à Paris, mais cette décision appartient au ministère des Affaires étrangères.
Je trouve très important que nous ayons un festival du film slovène à Paris, car la France est le moteur de l’industrie cinématographique européenne. Sans les Français, Hollywood nous aurait envahis depuis longtemps. En France, nous sommes présents chaque année aux festivals de Cannes, Clermont-Ferrand, Arras, et je me suis rendue plusieurs fois déjà à Lyon. À Montpellier, nous avons organisé la première rétrospective du cinéma slovène en 2002 lors du festival MedFilm. Nous collaborons avec le festival du film Les Arcs et nous envisageons d’y organiser une rétrospective du cinéma slovène. Les Arcs est un festival important, car on y sélectionne à la fois des films déjà en postproduction, donc intéressants pour les agents commerciaux, et des films encore en phase de projet et à la recherche de producteurs. Pour l’instant, seul le court métrage La vie sexuelle de Mamie d’Urška Djukić a été coproduit en France, mais nous aimerions trouver des producteurs français pour un long métrage slovène.
Visuel : © Urška Boljkovac