Musica 2025 : une ouverture rétrofuturiste, exactement sous les néons

Eternal Dawn au Maillon : Alexander Schubert et ses sept personnages en quête d’extinction

Quatre ans après sa pièce Asterism, Alexander Schubert est de retour à Strasbourg. Le compositeur et chercheur quadragénaire allemand ouvrait la soirée avec son Decoder Ensemble dans Eternal Dawn (2025). A la fois informaticien, spécialiste des sciences cognitives, enseignant et compositeur multimédia, il mêle dans son tissu musical hardcore, free jazz, techno, électronique live, capteurs gestuels, intelligence artificielle et réalité virtuelle.

Alors que le public est immédiatement saisi par la scénographie, Eternal Dawn propose une expérience pluridisciplinaire où la lumière opérée par Diego Murs joue un rôle majeur : des néons filent comme des étoiles dans la pénombre, les phases de flamboiement et d’obscurité alternent au rythme précis des arrangements musicaux. Les chorégraphies, elles, intègrent aux mouvements des sept interprètes, des prothèses et des machines qui sont probablement les plus belles danseuses ! Quant à la matière musicale, si dense et complexe, elle était à la hauteur de l’ouverture du festival.

Nous avons regretté néanmoins que la succession de tableaux se prolonge 1h20 dans le même rythme que la musique. Ces « itérations » nous ont menées sans surprise vers une extinction bavarde, alors que la voix avait été jusque-là remplacée par du texte en néon. Les emprunts scénographiques sont malins (espaces et mouvements rappelant les grands Polonais des années 2000) et certaines images nous renvoient aux sciences-fictions de la fin des années 1990 et du début des années 2000 (Matrix, IA, Intelligence Artificielle), mais cela ne suffit pas à maintenir une tension dramatique qui nous tienne au-delà de la première demi-heure.

Le mélange organique-technologique ne fonctionne peut-être pas totalement et nous nous sommes demandé si le propos – si sérieux et ancré dans son premier degré – n’est pas resté au plus proche de la pensée transhumaniste des années 2000 (Peter Sloterdijk, par exemple !). Il reste néanmoins des fulgurances indéniables dans cette œuvre musicale importante qui joue jusqu’au 21 septembre au Maillon.

À noter : le colloque « Musique et IA » consacre une session entière à Alexander Schubert le 26 septembre 2025 à 16 h à la Cité de la musique et de la danse (Strasbourg).

In Dreams à l’Opéra du Rhin : un hommage élégant à David Lynch musicien

À 21 h, changement de décor : l’Opéra du Rhin s’est transformé en « Club silencio » nostalgique pour In Dreams : David Lynch Revisited, un hommage à celui qui était non seulement plasticien et cinéaste, mais aussi musicien. Et dont les films portaient le sceau d’une ambiance unique, de Elephant Man à Inland Empire. Le titre de ce concert assis et majestueux, emprunté à la chanson de Roy Orbison devenue culte grâce à Blue Velvet, annonçait un voyage où la bizarrerie finit toujours par prendre le dessus.

Mais si ce n’était pas de l’opéra, c’était bien les voix qui régnaient sur ce concert, lequel avait déjà eu lieu à la Philharmonie de Paris en novembre 2015 (du vivant de Lynch, donc). L’équipe anglo-saxonne qui revisitait les compositions et reprises de Lynch pour ses films réunissait six voix remarquables : la très grande britannique Anna Calvi, qui a fini de nous émerveiller avec « Crying » en anglais, l’australienne Sophia Brous et ses jambes interminables, qui a ouvert le bal avec la version la plus proche de l’original en espagnol de cette chanson dans Mulholand Drive, le chanteur folk des Villagers, Conor O’Brien, qui a eu le fin mot de l’histoire avec une cristalline version de « In Dreams », plus étouffée  et étrange, l’australien Mick Harvey (qui a collaboré avec Nick Cave), et les inclassables et néo-punks Kirin J. Callinan et Jenny Beth (lire notre interview de cette dernière à Cannes). Se relayant un à un sur scène comme dans un club de jazz américain, ces interprètes ont alterné des reprises poignantes – « Sycamore Tree », « She’s Gone Away » – mais aussi, en sus des intermèdes musicaux, quelques clins d’œil espiègles, tel un « Blue Velvet » en tutu de soie de velours bleu par Sophia Brous, interrompu par des riffs de guitare mimés en air-guitare.

La palette sonore multipliait les surprises : voix étouffées, bruits électroniques, scie musicale, trompette, ondes Martenot et un superbe duo harpe-scie musicale entre Pauline Haas et Coulter. Les costumes respectaient l’esthétique lynchienne : costard rouge, robe asymétrique en velours bleu, accents eighties revisités et un chapeau extravagant pour l’entrée sculpturale de Sophia Brous.

A la fois hyper-élégant, très nostalgique et jamais trop sérieux – à l’image du cinéaste –, le spectacle a su jouer avec l’iconographie de Lynch sans jamais sombrer dans le pastiche. Dès le coup de scie inaugural (Lynch faisait aussi des meubles), l’accent a été mis sur la place de la musique dans sa création en général, sans idolâtrie et dans un respect puissant de la singularité de son œuvre. Une œuvre créée avec des références mythiques (Orbinson, Vinson, Bowie) et des collaborations fidèles (Angelo Badalamenti, Julee Cruise…).

Alors que l’omniprésente musique de Blue Velvet était déjà nostalgique du cinéma des années 1960, nous avons communié sous les néons et devant l’écran bien épais d’une télé des années 1980. C’est comme si une horloge s’était arrêtée à l’orée du XXIᵉ siècle, entre nostalgie et étrangeté planante. Comme dans les films de Lynch, la bizarrerie et la sensualité ont cohabité, nous laissant sur une note onirique de rétrofuturisme pour cette ouverture très singulière.