On peut dire que Mumford and Sons aime la France, et franchement, qui s’en plaindrait ? Après un concert mémorable le 7 mars à l’Élysée Montmartre, le groupe a offert une séance de rattrapage à l’Adidas Arena, un cadre taillé pour exprimer leur art sans retenue. Devant 9 000 fans, ils ont livré un show d’une rare générosité.
Né à Londres en 2007 dans un pub de Wimbledon Common, le Rushmere, Mumford and Sons réunit Marcus Mumford (chant, guitares, batterie), Ben Lovett (claviers, piano, synthé), Ted Dwane (basse, contrebasse) et Winston Marshall (guitare, banjo), qui quittera l’aventure en 2021. Le nom du groupe fait référence à Marcus, qui, à leurs débuts, jouait plus ou moins le rôle de manager.
Leur discographie, d’abord ancrée dans un folk britannique pur jus, n’a cessé d’évoluer vers le rock et le bluegrass au fil de quatre albums couronnés de récompenses, dont un Grammy de l’album de l’année en 2013 pour le magistral Babel.
En 2018, après la sortie de Delta, production léchée signée Paul Epworth (Adèle, McCartney…), mais accueillie tièdement par la critique, le groupe décide de lever le pied. C’est donc avec un plaisir évident que les fans accueillent Rushmere, sorti en mars, véritable colonne vertébrale de la tournée actuelle, en attendant Prizefighter, annoncé pour février 2026.
Leader charismatique, Marcus Mumford a parfois le don d’agacer la gente masculine. Il faut dire qu’il coche un peu trop de cases : allure de beau mâle, présence magnétique, voix capable de tout chanter… et sur scène, il le prouve sans forcer. Si Mumford and Sons compte parmi les groupes britanniques les plus populaires, c’est aussi grâce à sa ténacité. Marcus a longtemps fréquenté Laura Marling, figure majeure du folk anglais contemporain. Puis on l’a vu dans Inside Llewyn Davis (2013), avant qu’il n’épouse la remarquable Carey Mulligan, avec laquelle il a trois enfants. Objectivement, oui : c’est un peu énervant.
En 2022, il sort un album solo (self-titled), preuve que Mumford and Sons n’est pas qu’une extension de sa personnalité. Il y dévoile surtout une part plus intime de sa vie. Le premier morceau, « Cannibal », révèle avec une émotion brute le secret qu’il portait depuis près de trois décennies : l’agression sexuelle qu’il a subie à l’âge de six ans.
Depuis quelques années, peut-être depuis le confinement, les concerts attirent un public de plus en plus nombreux (+10 % par an). On sent que les spectateurs viennent autant pour la musique que pour la fête collective. Et Mumford and Sons l’a parfaitement compris. Dans une salle comble et déjà brûlante, le groupe fait une entrée simple mais efficace.
Les trois membres se placent en front de scène, épaulés à l’arrière par un guitariste flamboyant, un banjoïste, un batteur et une section cuivre de trois musiciens. Après une intro au banjo dans le noir, la fête démarre avec « Run Together », un single inédit. Porté d’abord comme une ballade anglaise chantée à trois dans la pénombre, le morceau explose soudain en dévoilant toute la puissance de l’orchestre. La salle s’embrase et ne se calmera plus.
Ils enchaînent sur « Babel », puis « Rushmere ». Pendant ce dernier, une structure métallique ornée d’oiseaux et de cœurs descend du plafond tandis que la scène s’illumine des mêmes motifs. Le light show accompagne tout cela par touches subtiles, et les écrans retransmettent le concert en sépia, instillant une ambiance oldy très réussie. Tout est pensé avec goût et sens artistique.
Marcus et Ben échangent avec le public, s’excusant pour leur français scolaire et rappelant leur plaisir constant de jouer à Paris. Marcus se risque même à un « je hais l’équipe de football française », déclenchant des huées amusées.
Puis arrivent un « Little Lion Man » magistral, démonstration de la qualité de l’orchestre, et « Hopeless Wanderer », repris en chœur par toute la salle. L’occasion rêvée d’évaluer le pourcentage d’Anglais présents.
Sur « Lover of the Light », Marcus confirme son statut de multi-instrumentiste en chantant… depuis la batterie, aussi convaincant qu’un Phil Collins.
Le set se poursuit avec plusieurs titres du futur album et un « Truth » très rock. Le groupe disparaît ensuite pour réapparaître sur une petite scène au fond de la salle. Accompagnés du seul banjo, ils interprètent trois titres, dont le superbe « Caroline », révélant toute la finesse vocale de Marcus.
De retour sur la scène principale, ils lancent un « Ditmas » déchaîné. Marcus descend alors dans la fosse, transformée en forêt de téléphones, continuant de chanter sous la protection approximative de ses agents de sécurité. Impossible de ne pas penser aux bains de foule de Florence Welch. Marcus aime le public, et il le dit avec une sincérité désarmante.
Après « The Wolf », accompagné d’une pluie d’étincelles tombant du plafond, le groupe prend une courte pause avant de revenir pour cinq titres supplémentaires, dont un « I Will Wait » survolté. Ils terminent avec une chanson du futur album, « Conversation With My Son (Gangsters & Angels) », dédiée au fils de Marcus, laissant le public conquis… et épuisé.
Ce concert l’a confirmé : à l’aise dans le folk anglais comme dans le bluegrass ou le rock, Mumford and Sons donne corps à son ambition de devenir l’un des acteurs majeurs de la scène britannique. Leur générosité et le contact avec le public sur scène font un bien fou et prolongent idéalement la qualité de leurs albums. On attend Prizefighter avec impatience.