Au nom de Steve Cropper, deux images s’imposent aussitôt : la silhouette discrète, imperturbable, derrière ses lunettes rondes, et cette guitare, tenue comme s’il s’agissait d’un outil de précision, d’un scalpel sonore. Deux images qui résument une vie entière vouée à faire groover le monde.
Depuis 1958, tour à tour organiste, guitariste, auteur-compositeur, producteur, acteur, il aura été de tous les coups d’éclat de la soul et du funk, portant haut les couleurs du mythique label STAX.
Né à Dora, dans le Missouri, il aurait pu finir guitariste de country comme tant d’autres, mais sa famille emménage à Memphis quand il est enfant, et le jeune Steve se retrouve biberonné aux sons qui inondent alors la ville : blues, gospel, rythm’n’blues. C’est là qu’il forge ses premières armes, dans les clubs, les fêtes, les studios, apprenant à écouter, à doser, à laisser respirer chaque note. Ses influences vont de Chuck Berry à Jimmy Reed, en passant par les grands maîtres du blues, mais il développe rapidement sa propre manière de placer les accords, de couper dans le gras pour ne garder que l’essentiel : des phrases courtes, précises, tranchantes, parfois à la limite du minimalisme, mais toujours au service du groove et du chanteur. Ce sont ces années-là qui façonnent son jeu, au croisement du blues, de la soul et du rythm’n’blues, et qui feront de lui l’une des pièces fondatrices d’un style devenu immédiatement reconnaissable.
En 1960, il rejoint l’écurie Stax avec son groupe The Mar-Keys, avant de devenir l’un des piliers de Booker T. & the M.G.’s, formation maison des studios qui enchaîne les sessions historiques : derrière Otis Redding, Wilson Pickett, Rufus Thomas, Carla Thomas, Sam & Dave et tant d’autres. Sa guitare devient alors un élément central de la grammaire soul : riffs concis, placements millimétrés, silences éloquents, son clair et tranchant, jamais démonstratif mais toujours irrésistible. De « Green Onions » à « Dock of the Bay », en passant par « Soul Man », il cisèle un vocabulaire qui influencera des générations de guitaristes, de la soul au rock en passant par le funk. Il n’est pas de ces solistes qui saturent l’espace ; il est de ceux qui savent exactement où se poser pour déclencher le frisson. À l’heure où beaucoup cherchent à en mettre plein les oreilles, lui choisit l’économie, la nuance, la tension contenue. Ce choix esthétique deviendra sa signature et contribuera à faire de son jeu un modèle étudié, copié, rarement égalé. À 14 ans, armé de sa première guitare, il tombe amoureux de ce son sec, précis, presque percussif, qui restera sa marque de fabrique jusqu’à la fin.
Suivront « Hang ‘Em High » et le magnifique « Time Is Tight », sans oublier les tournées et les collaborations avec Otis Redding, Wilson Pickett, Sam & Dave et tant d’autres figures incontournables de la soul.
« J’écoute les autres musiciens et le chanteur », confiait Cropper. « Alors je cherche ce que je peux ajouter pour faire avancer le morceau, ce qui va le faire respirer, ce qui va créer une dynamique autour de tout ça. C’est ce que je fais. C’est mon style. ».
Cropper écrit aussi pour les autres, et pas les moindres. En 1967, il co-signe avec Otis Redding « (Sittin’ On) The Dock of the Bay », enregistrée peu avant la mort tragique du chanteur. La chanson deviendra un succès mondial et un classique des « boums ».
« Nous cherchions la chanson crossover », disait-il. « Cette chanson, on savait qu’on l’avait. »
En 1980, il rejoint The Blues Brothers, groupe fondé par Dan Aykroyd et John Belushi, et devient, pour le grand public, le guitariste impassible en costard noir, Ray-Ban vissées sur le nez. Le film de John Landis, qui rassemble un casting hallucinant de légendes soul et blues, fait de lui une figure culte et offre à son jeu quelques-unes des scènes musicales les plus mémorables du cinéma.
Cropper a collaboré avec une génération entière d’artistes : John Lennon, Ringo Starr, Levon Helm, John Mayer, Jeff Beck, Jeff Beck Group, Roy Orbison ou encore Eddy Mitchell (mais oui !).
En tournée avec Sam & Dave, ce dernier lançait souvent : « Play it, Steve! », juste avant un solo ou un riff particulièrement attendu, comme une invitation à laisser parler cette guitare des sons capables d’emplir une salle entière d’émotion.
Alors… « Play it, Steve! » — et désormais, joue-le au paradis.
Photo: Steve Cropper Bilbao BBK Live 2008 Par Alberto Cabello
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