La 25e édition des Rencontres de Calenzana nous fait voyager au cœur de la Balagne, au Nord de la Corse. Entre chapelles, auditoriums et villages perchés, la musique s’invite du 17 au 24 août 2025 dans 19 villages sur les 36 que compte cette région. Au programme : 41 artistes, 29 concerts pour une fête des sens où la mer et la montagne répondent aux notes des plus grands compositeurs européens et corses. Cult.news y était le 20 juin pour une soirée inoubliable…
En plein air, comme dans un roman de Goethe, au son de cloches et des coassements des milans, c’est devant la chapelle Saint-François de Zilia que la flûtiste Eve-Nina Kodmus a ouvert la soirée avec une énergie rayonnante. A ses côtés, trois autre artistes en résidence aux Rencontres, qui se prête habilement au jeu exigeant de constituer ad hoc un quatuor. Le programme, allant de Vienne à Berlin, mettait à l’honneur le répertoire allemand du XVIIIe siècle pour flûte, avec des œuvres de jeunesse. Dès les premières mesures d’un Haydn élégant, la musicienne brille, soutenue par Guillaume Latour (ex-Diotima) au violon et Adèle Ginster à l’alto, particulièrement remarquables dans le deuxième mouvement où ils se relaient pour assurer les lignes de basse.
Les musiciens présentent ensuite un compositeur moins connu, G.A. Schneider, membre de l’Académie de Berlin, corniste et maître de chant que Haydn et Mozart ont marqué et qui a poussé son art jusqu’au romantisme du XIXe siècle. Eve-Nina Kodmus rappelle ensuite avec humour que Mozart lui-même « détestait la flûte » avant d’entamer le Quatuor en ré majeur, l’un des plus célèbres du compositeur, néanmoins ! Malgré l’humidité qui la pousse à nettoyer son instrument, elle impressionne par sa fougue, accompagnée de ses complices aux cordes. Le violoncelle de Marie-Paule Milestone, en résidence au festival, offre des lignes intenses, tandis que Latour la seconde avec complicité dans les passages les plus exigeants. Le Rondo final, parfaitement dansant, conclut ce premier moment avec grâce. Si bien que le cercle du quatuor si joliment constitué pour ce répertoire si cohérent improvise généreusement un bis apprécié.
À 19h30, après avoir embrassé la beauté de routes sinueuses suspendues entre mer et montagne, cap sur le village de Pigna, entièrement restauré autour de son « chemin des artisans ». L’auditorium affichait complet pour un Octuor de Schubert, avec plusieurs musiciens internationaux en résidence. N’ayant pu entrer, nous avons trouvé refuge sous un figuier à la Casa Musicale, hôtel-restaurant-résidence d’artistes surplombant la mer entre Calvi et l’Ïle Rousse. Un verre de vin, quelques notes de Miles Davis en fond sonore et un coucher de soleil rouge incandescent : la magie du festival se vit aussi hors scène.
À 21h30, craignant l’orage ou privilégiant l’acoustique des murs épais, ce n’est pas dans les jardins mais bien dans la chapelle Sainte-Restitude que la mezzo-soprano corse Eléonore Pancrazi et le pianiste Antoine Allérini donnaient rendez-vous. Alors que la nuit s’épaissit et que la chaleur plane sur les lumières bleutées de la chapelle la chanteuse qui a dédié son premier album à des airs populaires Corse, fait le lien entre l’île de Beauté et Séville. Un lien qu’elle inaugure par le fameux Barbier, avec la cavatine de Rosine qui est tout sauf «naïve», nous dit la chanteuse. Le «génie populaire» nous fait zigzaguer entre bel canto et chants populaires corses. Mais il met aussi et surtout en avant les femmes méditerranéennes– grands-mères ou amoureuses au très fort tempérament- incarnées par la mezzo-soprano corse. Cette dernière nous fait vibrer en robe verte, dos nu, avec un carré années 1920, une bouche vermillon et un charisme débordant. Elle nous impressionne par son timbre puissant, son intensité dramatique et sa maîtrise. C’est d’ailleurs elle qui introduit tous les morceaux, y compris les solos d’Allérini : une Mazurka de Chopin et les Jeux d’eau de Ravel. En cette année d’anniversaire Ravel, elle nous offre trois mélodies corses qui font partie des premiers arrangements du compositeur. Les partitions dormaient au musée de la Corse, à Corté, depuis une trentaine d’années. La beauté du Lamento d’Orezza nous transperce. Et Pancrazi nous explique que les chants qui accompagnent les disparus de mort violente sont différents des autres, ce faisant, elle regrette la vendetta et son chant tragique prend des allures de plainte viscérale.
Alors que l’on sent la soirée s’achever, la mezzo entraîne son auditoire encore plus loin dans l’émotion avec le Cantu di Malincunia (chant de mal du pays) l’un des chants les plus célèbres et désespérés du répertoire corse dont la mélodie est signée Henri Tomasi et le texte (1933) est écrit par le poète Santu Casanova. Et la diva clôt le concert en revenant à Séville et en se glissant dans la figure mythique et fantasmée du XIXe siècle : Carmen. Pour cette incarnation absolument parfaite, elle fait tomber le quatrième mur, descend l’allée centrale de la chapelle, cajole, menace, séduit de près un public médusé qui découvre encore et toujours à nouveau toute la puissance et la beauté de sa voix… En bis, elle rester gitane et nous inviter à danser «Près des remparts de Séville»… Tout un programme depuis Calenzana!
Avec quatre concerts par jour, le festival continue de rayonner dans toute la Balagne. Jeudi, le Cantique des Cantiques sera interprété à Lumio en corse par la poétesse Patrizia Gattaceca et la pianiste Mariana Luciani. À Aghja, l’Aire à blé accueillera les musiciens résidents de l’orchestre, tandis que les Rencontres de Calenzana recevra un duo d’exception : Nathalie Dessay et Philippe Cassard. Le festival se poursuivra jusqu’au 24 août, avec un final festif placé sous le signe du jazz et du folk, réunissant notamment le saxophoniste Vincent Peirani et le percussionniste Bijan Chemirani.
visuels (c) Olivier et luis Sanchez / Olivier Huitel / Crystal Pictures