Quand Matt Berninger pousse les portes de l’Elysée Montmartre, c’est «Sexy Boy» d’Air qui résonne. Le signal est donné : ce soir, le dandy de Cincinnati va faire tourner les têtes. Costume gris perlé impeccable, mocassins cirés, chemise d’un blanc immaculé, l’homme incarne cette élégance british qui fait penser aux grands maîtres comme Ray Davies. Sauf que derrière le vernis, c’est du rock émotionnel pur jus qui nous attend.
Berninger, c’est d’abord cette success-story américaine née en 1999 dans les rues de New York. Avec les frères Dessner et Devendorf, il forge The National, ce pilier de l’indé qui mettra une décennie à conquérir les foules. Dès le premier disque, la critique flaire le génie. Mais il faut attendre «High Violet» en 2010 – leur cinquième opus – pour que le public craque définitivement. Leur dernière réalisation, « Laugh Track » date de 2023, prolongé par l’excellent live «Rome » sorti l’an dernier.
2019 marque le tournant solo : «Serpentine Prison», premier album en solitaire produit par la légende Booker T. Jones. Le peintre Michael Carson signe la pochette, portrait saisissant de l’artiste. Car Berninger ne se contente pas de chanter, il peint, sculpte, crée avec cette même classe naturelle qui le définit.
Sur scène, l’alchimie prend immédiatement. Sean O’Brien (co-producteur de l’album) est à la guitare, Garret Lang à la basse, Sterling Laws bat le rythme, et Julia Laws alias Ronboy, qui assurait déjà la première partie, tient les claviers et chante. L’équipe est rodée, l’émotion palpable.
Dès «No Love», premier titre de la soirée, cette voix de baryton feutrée nous happe. Les textes ciselés, empreints de nostalgie, prennent une dimension nouvelle. Paradoxe saisissant : cet homme en costume se métamorphose en performer déchaîné. Gestes désordonnés à la Joe Cocker, présence magnétique façon Michael Stipe, Berninger investit chaque centimètre de cette scène dépouillée, ornée du seul lampadaire qu’il chérit tant.
« Prenons l’escalier jusqu’en bas, là où les lumières s’éteignent, Je t’y attendrai avec un briquet et un cocktail Nabokov. Oublie les questionnaires et les histoires orales, Peu m’importe le nombre de fois où tu as failli dire que je te manquais. C’est un tour de gobelet, un nuage de fumée, Et ça me prend à chaque fois, c’est une bonne blague. Je sais que je te manque, je sais que je te manque, Ces choses-là prennent une vie . » Bonnet of Pins – paroles de Matt Berninger.
Le contact physique avec le public devient rituel : mains serrées, fans du premier rang enlacés, bain de foule maîtrisé. L’intimité devient spectacle, l’émotion se partage sans retenue.
L’intensité grimpe crescendo pendant près de deux heures. «Get Sunk» défile dans son intégralité, ponctué de pépites tirées de «Serpentine Prison» : le magnifique «Distant Axis», «Silver Springs» en duo avec Ronboy. L’apothéose ? Deux reprises des National qui embrasent littéralement la salle : «Gospel» (album « Boxer« , 2007) et surtout «Terrible Love» extrait de «High Violet».
Cadeau de l’artiste, deux nouveaux morceaux dont « Why Don’t Nobody Love Me? » hurlé par Matt et que le public dément farouchement et « Black Letter Font », qui montrent son l’inspiration est au top.
Le final avec «Bonnet of Pins», ce bijou de son dernier album co-écrit avec Sean O’Brien, laisse l’assistance pantoise. Trois rappels s’imposent naturellement dont « Inland Ocean » encore plus bouleversante qu’en studio, et cette pépite inattendue, une reprise de «Blue Monday» de New Order, ses idoles assumées.
Ne vous y trompez pas : sous l’apparence du dandy détaché se cache un écorché vif. Berninger utilise l’écriture comme thérapie, méthode Lennon, et puise dans le contact avec le public cette énergie vitale qui le maintient à flot. Ses fans le lui rendent bien, ovation après ovation.
Le verdict tombe : rendez-vous chez votre disquaire pour «Get Sunk». Vos enceintes vous remercieront.
Photos: Yves Braka
Il faut écouter ses deux albums cités dans l’article:
En prime vous aurez deux très belles pochettes d’albums.
Si vous voulez mieux connaitre The National vous pouvez commencer avec: