Festival de danse Conversations, CNDC d’Angers s’est tenu du 21 au 30 mars 2024. Il s’agissait de sa troisième édition. À cette occasion, nous avons rencontré Marion Colléter directrice adjointe et programmatrice de ce festival en vitesse de croisière entre création, histoire de la danse et public curieux.
L’ADN de Conversations est de proposer au public une photographie non exhaustive de ce qui se fait aujourd’hui en danse contemporaine tout en élargissant cette vision vers le théâtre, l’art contemporain et la musique. En parallèle, l’idée est de relier ce panorama à l’histoire de la danse en faisant dialoguer les propositions actuelles avec des pièces phares de cet art. Sont convoquées de grandes figures comme Anne Teresa de Keersmaeker, Maguy Marin ou, comme cette année, Dominique Bagouet. Leurs œuvres agissent comme des « briques » qui consolident l’ensemble et leur influence est encore palpable aujourd’hui, permettant une lecture différente d’œuvres contemporaines. Les formats et les esthétiques sont variés. Par ailleurs, le public est convié à d’autres propositions moins formelles et parfois festives : plutôt que de seulement assister à des spectacles, le festival propose des ateliers de pratique, des rencontres avec les artistes, des installations interactives ludiques et du cinéma. J’ai par exemple proposé à Catherine Legrand de mener un atelier sur So schnell (reprise de la création de D.Bagouet de 1990, présentée au théâtre Le Quai dans sa salle du T900 le 23 mars dernier), de façon à donner aux participant.e.s des clés de lecture et de compréhension de l’œuvre.
Tout à fait. Comme pendant la saison où le Cndc programme une saison danse au sein du Quai (où travaille en parallèle un centre dramatique national avec sa propre saison pluridisciplinaire), le taux de remplissage est satisfaisant avec des chiffres éloquents : 92% de taux de remplissage pour les spectacles et, dans l’édition 2023 de Conversations, 94%. L’institution (créée en 1978) a depuis longtemps trouvé sa place à Angers et, même si beaucoup de gens n’ont pas toujours en tête que de la danse y est programmée, le public réagit de manière très satisfaisante. La Ville d’Angers annonce le festival de façon lisible, la presse le couvre bien et les réseaux sociaux complètent l’information, ciblant plus un public jeune ou étudiant.
Festival Conversations 2024 / teaser from Cndc — Angers on Vimeo.
La programmation est pour nous un élément, un moment, du parcours d’accompagnement des artistes au Cndc. Nous ne nous plaçons pas comme « diffuseur ». Ainsi la plupart des spectacles programmés sont le résultat de rencontres et d’échanges parfois depuis plusieurs années avec des artistes. La majorité des spectacles sont venus préalablement en résidence au Cndc et ont bénéficié d’une coproduction.
Le public angevin, du département ou de la région, est curieux, friand de découvertes et vient voir de nouvelles têtes. La création est notre priorité, à condition de ne pas viser uniquement le remplissage des salles. Les pièces historiques sont un complément de cette programmation et trouvent leur place là où elles sont les plus cohérentes. Dix-neuf spectacles sont ainsi proposés à travers 28 représentations, dont cinq créations et huit coproductions. Mes années passées à l’ONDA (office national de diffusion artistique) de 2014 à 2019 m’ont permis d’avoir une solide culture de la création.
Oui, particulièrement sur cette édition à travers trois parcours qui se sont dessinés naturellement une fois la programmation établie. Le premier consiste à revisiter l’histoire de la danse avec notamment les propositions en solos de Noé Soulier, la Giselle… de François Gremaud et So schnell, chef-d’œuvre de Bagouet chorégraphié deux ans avant sa disparition en 1992 et présenté ici avec de nouveaux costumes et de nouvelles lumières. Ce lien avec l’histoire de la danse caractérise également le travail des étudiants de l’École supérieure, actuellement en troisième et dernière année de licence, avec leur appropriation des univers de William Forsythe et de Lia Rodriguès. Un deuxième parcours concerne le rapport du corps et de l’environnement, à travers les propositions de Leo Lerus, de Dalila Belaza et le Break de Bruce Chiefare. Le troisième enfin s’intéresse aux tensions qui parcourent notre société en mouvement grâce à des œuvres de Gisèle Vienne, Calixto Neto et Julie Nioche.
Nous nous sommes volontairement limités dans un premier temps à mieux faire connaître le Cndc et sa saison danse au sein du Quai, bel équipement doté de salles de spectacle modernes et adaptées, d’un grand forum et de deux studios de création. Le public est invité à circuler de manière à découvrir l’ « envers du décor ». D’autres lieux ponctuent le festival comme le théâtre municipal, le musée des Beaux-Arts (avec son installation appelée Repaire urbain) et, proche d’Angers, le théâtre de l’Hôtel de Ville à Saint Barthélémy d’Anjou. Nous y avons présenté mardi 26 mars un plateau partagé avec le solo Nox de Léa Vinette, nouvelle artiste associée du Cndc, et le trio Point zéro d’Amala Dianor. La salle, excentrée par rapport à Angers, affichait complet.
Les étudiants actuels finissent leur cursus en juin prochain. Il était donc évident pour nous que cette édition de Conversations devait les mettre en avant et leur permettre aussi d’être repérés par des professionnels.
Leur prestation du samedi 23 mars a été très applaudie. Ils y présentaient deux pièces, l’une dans laquelle ils mettaient en œuvre les principes de composition du chorégraphe William Forsythe, l’autre une recréation de Pororoca, spécialement adaptée par Lia Rodriguès venue du Brésil pour remonter cette œuvre de 2009. L’énergie et la précision de ces 18 jeunes a fait mouche, notamment dans la deuxième pièce, jubilatoire, sachant que 12 étudiants ont pu participer à un séjour à Rio de Janeiro dans le quartier de Mare où est implantée la compagnie et l’école que porte cette artiste, très engagée politiquement et déjà venue à Angers. Ces jeunes artistes, à présent prêts à entrer dans la profession, vont aussi émailler le festival d’impromptus. Leur prestation publique servait aussi d’évaluation dans leur cursus, un jury présent parmi le public jaugeant leur qualité d’interprétation.
Je veille dès mon travail de repérage artistique à voir autant de propositions de chorégraphes femmes que d’hommes, voire plus de femmes, car je défends la notion de « parité réparatrice » énoncé par Reine Prat.
Depuis plusieurs années maintenant, c’est-à-dire depuis que des moyens de production sont enfin donnés un peu plus aux artistes femmes, on voit que les formes innovantes et bousculantes arrivent davantage par des artistes féminines.
Mais il reste malheureusement encore beaucoup à faire pour arriver à une égalité entre artistes hommes et femmes comme le montre une récente étude mené par le Syndéac sur la répartition des moyens de production. Autre exemple : dans les directions de CCN, on a vu beaucoup de femmes nommées dans les années 1980 et 90. Cette tendance n’est plus de mise aujourd’hui, les hommes étant revenus en force à partir des années 2000.
J’intègre aussi ce paramètre complexe, mais il reste encore du travail pour parvenir à mieux l’intégrer. Dans mes années à l’ONDA, cette prise de conscience était en plein développement dans le milieu professionnel et est devenue une responsabilité qui incombe à tous/toutes les directeur/trice.s de lieux en France. C’est une attention à avoir dès le repérage, bien en amont du festival, lorsque je choisis les artistes que le CNDC accompagnera en résidences et/ou en production. Mais c’est d’abord l’appréciation de la qualité artistique qui m’anime qu’il faut mettre en regard avec le contexte de création de l’artiste.
À peu près 200 K€, ce qui représente la moitié de notre enveloppe programmation de la saison danse au Quai. On peut toujours imaginer plus, mais nous faisons avec les crédits disponibles et nous en sortons correctement. Malgré la situation qui se tend pour le spectacle vivant suite aux décisions nationales de coupes budgétaires cette année, le CNDC se porte bien et le public est au rendez-vous. Nous offrons d’ailleurs en jauge plus de 2 000 places supplémentaires sur l’édition 2024 par rapport à 2023. Le festival s’achève samedi soir et le bilan 2024 semble encore plus satisfaisant que l’année dernière !
Visuel : So-Schnell-©Caroline-ABLAIN