Du 12 juin au 5 juillet 2025, le Festival de Marseille embrase la ville avec sa 30e édition, dont nous parle sa directrice, Marie Didier.
Je crois que la danse offre d’immenses espaces de créativité, et propose des langages à la fois très écrits, et d’autres très libres, plus hybrides. Mais c’est toujours une mise en mouvement et une pensée sur le corps qui sont propres aux créateur-ices, et souvent un rapport au monde. Et potentiellement un instrument de luttes et de revendication pour des communautés et des existences oppressées. Il faut bien voir du côté des réseaux sociaux ce qui se passe et surtout ce qui émerge, qui n’est pas que formel, qui est aussi politique. Il y a une « extension du domaine de la scène », qui en danse comme dans d’autres arts vivants, agrège désormais des pratiques sociales, des pratiques de co-création avec des amateur-ices, des codes venus de l’art contemporain ou du net.
Cette pluralité de formes, d’esthétiques, de propos, elle est revendiquée dans la programmation du Festival et permet de passer de la grande rigueur formelle d’un Christos Papadopoulos aux danses mélangées d’un Medhi Kerkouche. Le mélange c’est aussi l’apport d’autres cultures ce que permet la dimension internationale et particulièrement méditerranéenne du Festival de Marseille. Le collectif égyptien nasa4nasa par exemple, propose une performance ultra-contemporaine, hiératique et pas du tout dans la séduction, à partir de la mémoire de danses traditionnelles. Je suis également toujours très sensible à la place de la musique, à la cohérence des choix musicaux ou de création sonore.
Le Festival de Marseille développe une politique d’accessibilité à 360 degrés. Qui couvre aussi bien les questions de communication – comment parle-t-on des spectacles – que les questions de représentations – qui est sur scène ? – en passant par les dispositifs concrets permettant à des spectateur-ices en situation de handicap de bénéficier d’une accessibilité cousu-main. Nous sommes sur une quinzaine de sites différents, parfois en espace public ce qui demande une ingénierie, mais aussi dans des théâtres. Dans ces derniers, nous observons que les personnes à mobilité réduite occupent la totalité des places dédiées, c’est un succès indéniable. Les gilets vibrants, les traductions en langue des signes, et, de plus en plus, les spectacles qui intègrent des sur-titrages sont plébiscités par les personnes sourdes et mal-entendantes. Pour l’édition 2025, nous avons mis l’accent sur les audiodescriptions, nous les produisons pour 4 spectacles, qui ensuite poursuivent leurs tournées avec cette possibilité d’accueillir des publics aveugles ou mal-voyants. L’idée étant que les créations et spectacles invités au Festival de Marseille en repartent dans une version augmentée et plus inclusive pour élargir leur audience. On prend le sujet à bras le corps, ce sont en France 15 millions de personnes qui sont en situation de handicap. Au-delà de l’accessibilité, on propose de s’interroger ensemble sur les discriminations, le point de vue « validiste », d’identifier en quoi les théories « Crip » apportent des réflexions et des changements de paradigmes passionnants pour l’art et la création artistique. Cette année, c’est à l’artiste No Anger que nous confions, à travers une carte blanche, le soin d’éclairer nos regards et avec la critique d’art Elisabeth Lebovici, de placer ces évolutions récentes dans une perspective historique.
Le Festival de Marseille crée à partir de l’imaginaire d’une ville. De sa réalité sociale. D’une ambition qui est d’être un service public pour tous et toutes. Cela se traduit dans les choix de programmation, ouverts sur le monde, exigeants, décloisonnés, avec cette ligne autour des représentations contemporaines du corps, qui parle au plus grand nombre. Et pour abattre les ultimes appréhensions, notamment tarifaires, on a fait un choix très fort après la crise sanitaire, qui était de proposer un tarif unique à 10€. Et de persister avec une billetterie solidaire à 1 €. Le résultat on le voit dans les salles, la physionomie du public a évolué, et on sait qu’un tiers des spectateur-ices se renouvellent chaque année et que le « panier » moyen est autour de 2,5 spectacles / personne. On peut être curieux sans se ruiner.
Toute l’année, le Festival travaille dans des écoles, des collèges de toute la ville. On touche entre 30 et 40 classes. En 2025, pour la 30ème édition, on a voulu les rassembler dans une grande œuvre collective, la Manifête. Ce sera une manif’, une fête, une danse pour un grand rassemblement d’enfants, dans l’espace public. Dans 17 classes, nous sommes intervenus pour faire émerger la parole des jeunes (de 8 à 13 ans), les inviter à exprimer leurs rêves, leurs espoirs, les causes qui les préoccupent et surtout affirmer qu’ils peuvent prendre toute leur place dans la rue. Nous avons demandé à la chorégraphe Marina Gomes, qui ancre sa démarche dans les quartiers populaires, de mettre en scène cet évènement. D’un projet d’Education artistique et culturelle, nous faisons une véritable production qui concerne 450 enfants et adolescents.
La partie internationale de la programmation est majoritaire dans le festival, quasiment 75% des artistes viennent d’ailleurs et nous coopérons de plus en plus avec les grands festivals européens pour organiser des tournées cohérentes. Parmi eux il y a des festivals qui partagent nos valeurs, être exploratoire, se soucier d’inclure les populations et les territoires, rester à l’échelle humaine et prendre des risques artistiques, avec des formes non conventionnelles. Les agendas restent compliqués à aligner, et on doit parfois faire avec des problématiques d’exclusivité, encore vivaces.. Mais c’est stimulant et çà nous fait du bien de partager des défis qui nous préoccupent et que nous cherchons ensemble à solutionner comme la précarisation des équipes artistiques, la raréfaction des moyens de production, la censure, le rétrécissement de la liberté d’expression et de création.
À Marseille, il joue le rôle d’un festival de proximité, car 90 % du public est local, il vient de Marseille et des villes alentours. Nous faisons le plein, au point que notre cadre budgétaire ne peut pas suivre à la hauteur de la demande ! Il occupe un espace artistique qui est celui de la danse, de la performance, avec des artistes qu’on ne voit pas le reste de l’année, dans une ville qui historiquement a un lien très fort avec la danse et qui aujourd’hui voit s’installer une communauté artistique très vivante. Et il raconte quelque chose de la ville, il l’a fait rayonner avec des valeurs, un imaginaire et des partenariats qui parlent d’ouverture et d’altérité. Je crois que pour beaucoup de spectateurs et d’observateurs, la presse, la profession, nous sommes à la fois un grand festival sur la carte européenne, et un évènement où ce qui compte c’est le lien, l’hospitalité et l’échelle humaine.