Pendant les Jeux Olympiques, la Galerie Maria Lund, rue de Turenne présente l’exposition collective In Motion avec des œuvres de Nicolai Howalt, Fee KleissEsben Klemann, Min Jung-Yeon, Lyndi Sales et Marlon Wobst. Plusieurs de ces artistes sont également présentés hors les murs cet été, notamment Nicolai Howalt, Morten Søndergaard et Yoo Hye-Sook à l’Abbaye Saint André CAC (Meymac) et Min Jung-Yeon à l’Atelier d’Estienne à Pont-Scorff (Bretagne). L’occasion de rencontrer sa fondatrice, galeriste passionnée depuis 1999, entrepreneuse exigeante et femme d’affaires, qui préfère s’inscrire dans l’accompagnement des artistes dans la duréee, à rebours des tendances marketing qui touchent aussi le marché de l’art.
J’ai eu la chance de grandir entourée d’art. Mes grands-parents maternels collectionnaient des œuvres, principalement de l’art ancien, classique, du XIXe et du début du XXe siècle. Une œuvre qui m’a beaucoup marquée se trouvait dans leur salle à manger : une grande peinture très violente représentant une scène de bataille avec des chevaux et des guerriers, dans le style de Rubens. Cette peinture me fascinait et me mettait mal à l’aise en même temps, tant elle était puissante. Un autre souvenir marquant est un portrait de femme datant d’environ 1830, avec une magnifique robe en velours rouge et un bouquet de fleurs stylisé. Le contraste entre le réalisme du portrait et l’aspect artificiel des fleurs m’a beaucoup intriguée.
Mon grand-père paternel était aussi artiste. Bien qu’il ait eu une vie professionnelle classique, il avait travaillé en Indonésie et réalisé de nombreuses aquarelles et encres de paysages et de scènes locales. De retour au Danemark, il a continué à créer et a peint notamment des papiers pour des reliures et des papiers peints. J’ai grandi avec ce grand-père toujours en train de fabriquer quelque chose, et cet esprit créatif se retrouve chez les artistes avec qui je travaille aujourd’hui.
Ma mère et ma grand-mère maternelle étaient également très habiles de leurs mains. Moi-même, j’ai été très créative durant mon enfance et mon adolescence, même si je ne me voyais pas devenir artiste. Je pense que je n’avais pas la fibre d’une plasticienne, mais j’ai toujours eu une sensibilité artistique.
J’ai flirté avec l’idée de faire des bijoux, parce que cela m’a toujours fascinée. J’ai donc pris des cours et réalisé un certain nombre de pièces. Le rapport à la matière et aux techniques a toujours été important pour moi, et cela fait partie de mes exigences aujourd’hui.
Oui, la matière est souvent déterminante dans mes choix. Elle peut être très expressive. Et j’attache aussi une grande importance à la qualité de réalisation. Cela ne signifie pas que les œuvres doivent être académiques, mais qu’elles doivent être bien finies. Si une œuvre est encadrée, elle doit l’être correctement. Il est crucial pour moi que si quelqu’un achète une œuvre, celle-ci ne s’effondre pas après trois mois. Je n’aime pas le bricolage, même si ce dernier peut générer beaucoup de créativité.
Même si je peux apprécier par ailleurs l’art conceptuel, je préfère que l’œuvre déclenche quelque chose par sa seule présence matérielle. Pour moi, l’art doit nous interpeller, nous aider à concilier notre condition humaine, à la fois dans sa beauté et sa laideur, ses difficultés et ses tragédies. L’art est un forum commun qui permet à chacun de se sentir moins seul, en trouvant une communauté qui partage ses émotions et expériences.
Ainsi, je me concentre sur ce que les artistes produisent. Il y a vingt ans, j’ai commencé à travailler avec des artistes issus de formations en arts appliqués, comme la céramique ou le verre. Ces artistes maîtrisent une technique et une matière qu’ils transforment en art. Je refuse de juger un artiste par son diplôme. Je trouve choquant que le milieu des arts plastiques refuse parfois de donner de la visibilité à des personnes n’ayant pas suivi le cursus officiel, alors que l’on a toujours admis des autodidactes.
Je suis arrivée à Paris en 1991, sans idée du métier que j’allais choisir. Je suis diplômée en droit, et à la fin de mes études, je me suis intéressée aux droits d’auteur. Je n’arrivais pas encore clairement à formuler ce qui m’attirait dans cette discipline. Ensuite, j’ai suivi des études de français pour améliorer ma maîtrise de la langue, suivi des cours pour étrangers à la Sorbonne et suivi un cursus à l’Institut britannique pour m’approprier un français plus professionnel et commercial. J’ai aussi étudié le théâtre et j’ai commencé à travailler pour une galerie. Je baignais dans Paris, je reniflais Paris, et j’avais la chance d’être hébergée par un ami d’amis qui a beaucoup compté pour moi. Ces deux années ont été riches en découvertes et en apprentissages. Au bout de ces deux ans, j’ai commencé à travailler. J’ai passé cinq ans à la direction d’une école de communication visuelle, l’ECB, une école privée, où j’étais assistante du directeur du cycle supérieur. J’ai beaucoup appris en travaillant avec les enseignants de l’école qui étaient des esprits artistiques et des professionnels actifs.
Après un certain temps, j’ai compris que ce n’était pas ma voie. Les arts appliqués m’intéressaient, mais c’était vraiment les arts plastiques qui me passionnaient. En 1999, après sept ans à Paris, je me suis associée à un galeriste danois. Nous avons ouvert la galerie en février 1999… cela fait maintenant 25 ans. Cette aventure a été difficile, car mon associé, malgré son expérience, avait sous-estimé les difficultés financières et nous n’avions pas la même sensibilité artistique. Au bout de quatre ans et demi, j’ai proposé de mettre fin à notre collaboration et j’ai repris la galerie pour un franc symbolique. Depuis plus de 20 ans, je dirige ce lieu seule. Nous sommes restés bons amis, car il y avait un respect mutuel et une sympathie profonde, malgré les difficultés de l’entreprise.
Oui, et j’en suis assez fière. Il y a une véritable famille au sein de la galerie. Les artistes se soutiennent mutuellement, assistent aux vernissages les uns des autres. Cette ambiance de soutien est précieuse. Bien sûr, en tant que cheffe d’entreprise, je dois faire des choix, car le temps est limité et je dois parfois prioriser certains ou certaines artistes, mais j’essaye de m’occuper le mieux possible de tout le monde. Nous travaillons avec environ vingt artistes, et nous avons de très longues collaborations, parfois depuis le début de la galerie, il y a vingt ans. Je préfère travailler ainsi, car je connais bien les œuvres et les personnes. Cela permet d’avancer plus puissamment. Aujourd’hui, je regrette parfois que beaucoup de jeunes artistes soient si ambitieux qu’ils hésitent à s’engager, perdant ainsi le soutien qu’un galeriste peut offrir. En tant que galeriste, si je dois prendre des risques et investir mon temps, il faut que j’aie en face de moi une personne qui ose aussi s’engager un peu.
Nous sommes dans une période où les nouvelles manières de communiquer et une société orientée vers l’instantanéité prennent le dessus. On parle beaucoup de liens, mais ce sont souvent des liens légers et non engageants. Nous, galeristes, sommes pris entre l’immédiateté sans suite et le besoin d’un engagement à long terme. Personnellement, je m’inscris dans l’accompagnement à long terme. Je pense que c’est ainsi que l’on construit des relations solides, que ce soit avec des artistes ou d’autres êtres humains. Et c’est ce qui, pour ma galerie, donne des résultats.
Oui, cela m’arrive d’être très surprise, et j’en suis ravie, car cela signifie que l’artiste se sent encore libre dans notre collaboration. Pour moi, la liberté est cruciale, tant pour les artistes que pour tous les êtres humains. J’admire ceux qui osent utiliser leur liberté, car ce n’est pas toujours facile. Les artistes doivent se sentir libres dans leur collaboration avec moi, mais je me réserve aussi le droit de rester libre. Si j’aime quelque chose, je peux avoir envie de l’exposer. Si je n’aime pas ou ne suis pas convaincue, je ne me sens pas obligée de le faire. Il est essentiel que chacun soit libre de créer et d’apprécier ce qui est créé.
Être artiste est un parcours difficile, surtout matériellement. Les artistes doivent utiliser leur liberté malgré les difficultés pour explorer et évoluer. Malheureusement, le contexte actuel favorise une approche très marketing, ce que je déplore. Je soutiens donc les artistes dans leur évolution. Il est formidable de voir un artiste oser un changement et réussir à réaliser quelque chose qu’il ou elle avait du mal à atteindre. Cela me rend très heureuse. Pour le galeriste, c’est un défi, car il doit soutenir ces changements auprès du public et des collectionneurs. Mais si je trouve le travail vraiment bon, c’est un cadeau et je travaille autant qu’il le faut pour encourager l’enthousiasme que mérite cette évolution.
Oui, nous avons une famille de collectionneurs qui grandit. Beaucoup de collectionneurs nous suivent depuis très longtemps. Et nous avons aussi de nouveaux collectionneurs qui viennent se fédérer autour de la galerie. Certains sont intéressés par un ou quelques artistes spécifiques, d’autres nous suivent de manière plus globale. C’est une grande joie, car cela signifie qu’ils trouvent un univers cohérent dans nos choix et veulent nous soutenir. Je me sens très privilégiée d’avoir ce cercle de collectionneurs. Ce sont les œuvres qui choisissent, en quelque sorte, leurs collectionneurs, et cela crée des relations souvent amicales. Les collectionneurs sont au cœur de l’art contemporain. Sans eux, le marché et la survie de l’art contemporain ne seraient pas possibles. Les institutions publiques jouent un rôle, mais les collectionneurs privés sont essentiels et je tiens à souligner leur importance.
Paris reste très importante. Nous avons ici de nombreux collectionneurs français, mais aussi des collectionneurs européens et internationaux. Avant le Covid, nous étions souvent en Corée, grâce à des relations constructives avec des galeries coréennes. Donc, nous y avons aussi des collectionneurs. Et, depuis quelques années, je retourne un peu vers mes racines danoises. Nous participons pour la deuxième fois cette année à une foire à Copenhague, où nous allons organiser une exposition avec l’Institut français. Cette exposition, intitulée Mille pattes, présentera les œuvres de l’artiste Marielle Paul, et celles de sa fille, une jeune designer de mobilier.
Actuellement, nous travaillons sur un projet multidisciplinaire avec l’artiste Min Jung-Yeon, qui a déjà un beau parcours avec une exposition carte blanche au musée Guimet et une exposition personnelle au MAC de Saint-Etienne en 2012. Pour l’exposition «D’autres soleils » à Pont-Scorff dans le Morbihan (jusqu’au 22 septembre), il s’agit d’un parcours d’art en cinq lieux. Elle collabore avec un jeune compositeur coréen, Whan Ri-ahn.
Il y a deux ans, nous avons monté une exposition à l’ancienne nonciature à Bruxelles, en collaboration avec la propriétaire et excellente architecte, Anne Deras. Dans ces magnifiques lieux, nous avons créé une exposition avec une dimension littéraire en collaboration avec un poète des Noirs. Nous avons également travaillé avec Michel Petrucciani, lauréat du prix de la Reine Élisabeth en composition, qui nous a confié la première mondiale d’un cycle de chants que nous avons présenté pendant deux soirées. Le chanteur était un baryton basse et un très bon pianiste l’accompagnait. C’était une expérience extraordinaire, et les gens étaient profondément touchés par l’exposition et le concert.
Ce genre de projet demande énormément d’énergie et de ressources, donc nous ne pouvons pas le faire tout le temps, mais j’ai adoré le faire. J’ai toujours été fascinée par les autres formes d’art, et nous accueillons souvent des concerts, des lectures, des premières de théâtre ou des projections de films à la galerie. Je veux que ce lieu soit vivant et ouvert à d’autres formes d’expression. Avec des moyens limités, nous faisons beaucoup de choses.
Visuel : © Helene Schmitz