Pour ses six cent ans l’Université catholique de Louvain (KU Leuven) a fait travailler ensemble plasticiens et chercheurs. Une démarche exigeante à découvrir dans cette ville étudiante animée truffée de bars et d’architecture gothique. A seulement 30 minutes de Bruxelles.
Si quelques célèbres universités ont investi dans une collection artistique (Yale, Harvard, Oxford…) et si certaines en France jouissent de dépôts d’œuvres (1% artistique, association art+université+culture…), la démarche récente de l’Université catholique de Louvain (KU Leuven) à l’origine de la Route Art et science qui vient juste d’ouvrir est elle inédite. Seize artistes et une poignée de poètes ont engagé le dialogue avec un panel de scientifiques issus des 17 facultés. Une démarche poursuivie durant trois ans avec le soutien d’un duo de curateurs chevronnés, Heidi Ballet (intervenue entre autres au Jeu de Paume et à l’enthousiasmante Triennale de Beaufort…) et Stéphane Symons, philosophe spécialiste de la culture et enseignant à KU Leuven.
Si les scientifiques trouvent des solutions, les artistes eux les questionnent. En partant de ce constat les curateurs ont demandé aux universitaires de définir en atelier l’enjeu actuel qui domine leur discipline. Ces échanges passés au crible, ils ont passé commande. Huit œuvres plastiques et huit poèmes incarnent dorénavant sur ce campus flamand qui semble anglo-saxon les questions brulantes du moment présent. « La collaboration entre art public et science est assez exceptionnelle « soulignait Heidi Ballet durant la visite. Pendant que Stéphane Symons précisait que dans cette approche multidisciplinaire « Nous mettons en lumière la complexité des -wicked problems- contemporains, problématiques sans causes ni solutions évidentes et le besoin de solutions fondées scientifiquement pour l’avenir ». Neuropsychologues, économistes ou astronomes quarante-cinq chercheurs au final ont dialogué tout du long avec les plasticiens. Limites de la résilience au-delà de laquelle elle devient simple adaptation-soumission, nécessité d’une éthique garde-fou dans la « fabrication » de plus en plus technicisée de l’humain, rapport au monde où l’homme ne serait plus en surplomb, captation et partage de la connaissance, les thèmes proposés aux artistes sont tous sensibles, cruciaux, centraux. Comme celui du non-savoir ce moment de patience nécessaire au chercheur et au poète.
Clara Spiliiaert dans son studio; ©Rob Stevens
Le parcours intitulé « And so, change comes in waves” en écho au jaillissement toujours imprévu de la connaissance est jalonné par des œuvres d’artistes émergents et d’autres très établis. Berlinde de Bruykhere, Alicja Kwade, Sammy Baloji, Gijs Van Vaerenbergh mais aussi Maud Vanhauwaert (chargée d’ailleurs d’encadrer le versant poétique du projet), Yousra Benfquih et Dominique de Groen ont ainsi été sollicités. Le cheminement s’inaugure au Wandering garden (Jardin de l’errance, celle qui accompagne l’amorce d’ une recherche) de Gijs Van Vaerenbergh, un labyrinthe hypnotique récemment complanté d’une collection de plantes grimpantes dans le parc du Château d’Arenberg (campus de Sciences de l’université). Il se clôt par le poème de Van Vanhauwaert What it is ? Une question à laquelle aboutit la démarche scientifique.
Poème de Jan Lauwereyns©marijke-T-Kindt
Parmi les œuvres qui ponctuent l’itinéraire certaines risquent de vous solliciter, attendrir d’autres vous amuseront. Clara Spilliaert a fermé d’opercules de bronze délicatement sculptés trois vieux puits qui attendaient endormis dans les ruelles sereines du Grand béguinage que quelqu’un s’intéresse à eux. Ces bas-reliefs évoquent la poitrine féminine faite de peau, de seins, de poumons, du réseau tissé par les veines… Spilliaert s’intéresse au traitement inadéquat dont les femmes pâtissent, le corps masculin étant toujours la norme pour tester les médicaments. La quiétude de son geste artistique et la volontaire discrétion de son intervention qu’il faut aller chercher en se penchant…au fond du puits ne laissent pas indifférent (Listen well, 2025).
Dans un tout autre registre, Carriers d’Alicja Kwade manie l’humour au bénéfice du plus grand sérieux. Le poids de l’ignorance est un challenge collectif affirme avec éclat son installation. La plasticienne a posé un rocher monstrueux sur une collection disparate de chaises de bureau. Amusant mais surtout bien vu, un vrai remède à la tentation mégalomaniaque toujours possible. Et puis il y a la poésie. Une poésie forte qui surgit au bord d’un toit, d’un mur, en lueurs lumineuses et accompagne comme un viatique heureux en courant sur le tablier d’un pont. Le négatif lui-même se mue en vitalité. Comme le dit Maud Vanhauwaert dans son poème Euréka nous ne pouvons faire l’économie du doute parce que : « doubt is our motor « !
Berlinde De Bruyckere,
Arcangelo IV, 2024.2025©Marijke-T-Kindt
(oeuvre exposée à Louvain, au Collège Van Dale)
Et puis bien sûr il y a l’immense et modeste Berlinde de Bruyckere présente avec un de ses Archanges. (Arcangelo IV, une œuvre récente). Cet ange n’est pas un ange en gloire, un putto dodu mais une silhouette fragile qui évoque le Christ mort soutenu par un ange de Giorgione. Où l’ange gracile peine sous le poids du cadavre. De Bruyckhere y voit une allusion aux travailleuses du care harassées durant la pandémie. Cet ange là semble porter tout le malheur du monde mais comme toujours chez l’artiste le contrepoint est présent et si ses ailes semblent engluées dans une lourde peau de bête ses pieds déjà prennent leur envol. Douleur et réconfort, pesanteur et légèreté, la tension entre des opposés reste toujours présente. L’espoir pointe sous une chape de plomb.
Approfondir à Bozar au cœur de Bruxelles
Il serait dommage ensuite de se priver d’un détour par la très belle exposition dédiée à Berlinde De Bruyckere qui se déroule jusqu’au 31 aout à Bozar. Dans le magnifique écrin du décor Art déco conçu par Victor Horta Khoros, conçue par l’artiste elle-même, avec le support des conservateurs du Musée des Beaux-Arts de Bruxelles ne se résume pas à une rétrospective même si elle déroule vingt-cinq années de création. Surtout elle donne à voir les œuvres érotiques de l’artiste, ces sexes masculins traités comme des croquis botaniques mais très éloignés des métaphores florales d’une Georgia O’keeffe. A moins qu’ils ne soient ensachés d’étamine, à la fois en majesté et blessés et mis sous cloche comme les reliques religieuses autrefois. Des œuvres peu montrées jusque-là. A découvrir aussi des créations très récentes à base de linoléum et des collages produits tout spécialement. La présentation est superbement scénographiée dans un dialogue avec les artistes qui ont représenté des scansions essentielles dans le travail de De Bruyckere. Des noms aussi divers que Cranach, Bellini, Rodin, Pasolini et Patti Smith. Tout cela prend la forme d’un opéra visuel avec choeur.http://Bozar.be
Stamen-2017-2018;Courtesy the artist©Myriam Devriendt
(oeuvre exposée à Bozar)
En pratique :
Comptez trois heures et demie si vous voulez parcourir la route entière qui se déroule par les bois et les prairies sur 5,5 kilomètres et admirer en chemin les œuvres disséminées multiples bâtiments historiques. Trois circuits plus courts sont décrits dans le plan dédié et sur l’application. Sur la route vous croiserez l’émouvant béguinage où des femmes indépendantes ont trouvé refuge sûr et partage spirituel du Moyen âge au XXème siècle, le jardin botanique, le Collège du faucon (pedagogie de Valk) autrefois résidence pour étudiants dont le beau bâtiment XVIIIème accueille la statue créée par Ugo Rondinone, le parc de Saint Donatus (Sint Donatus park) où trône l’amusante et profonde installation d’Alicja Kwade et la très belle chapelle médiévale Saint Lambert d’une transparence mystérieuse. Sans oublier le collège Van Dale qui accueille provisoirement l’Archange de Berlinde de Bruyckere.
Entrée libre sur la route Art et Science ouverte en permanence mais attention certains lieux qui sont aussi des bureaux ou des institutions ferment le soir. Des tours guidés de deux heures sont organisés le week-end en anglais à 14h. 15 euros. Tours en français pour les groupes de dix personnes. Kuleuven.be/artroute)
Découvrir ensuite Louvain, ville de drames et d’excitation
Cette création s’inscrit dans l’anniversaire des 600 ans de l’Université. Une très vieille dame née en 1425 connue hors des frontières belges comme une référence presque incontournable pour ses presses universitaires, ses prix Nobel (le Big bang fut conceptualisé ici) et comme un des berceaux de l’humanisme européen, Érasme et d’autres s’y confrontaient. La ville choisit à l’époque de se dédier à la culture plutôt qu’au commerce créant une université plutôt qu’un grand marché. Bien lui en prit, elle compte aujourd’hui 100 000 habitants et 50 000 étudiants venus chaque année du monde entier, un choix qui a dopé son économie.
C’est aussi la ville de la bière belge par excellence. Stella Artois est située ici et se visite mais une flopée de brasseries artisanales proposent des alternatives bienvenues comme les cafés bruns. N’oublions pas non plus les incontournables. De sublimes primitifs flamands comme la Cène de Dieric Bouts dans l’Église Saint Pierre, la remarquable bibliothèque universitaire largement saccagée par l’armée allemande durant la Première guerre mondiale et reconstruite ensuite à l’identique à l’aide de fonds américains (Herbert Hoover s’est mobilisé après le Sac de Louvain d’une violence inouïe). La Halle de l’université est elle aussi un impératif autant pour son beau volume que pour sa sympathique une boutique. C’est le lieu où s’offrir les amusants produits dérivés de KU Leuven comme ce drolatique « bavoir universitaire » à offrir à un nouveau-né que l’on espère futur chercheur !
Pour y aller : Louvain (Leuven en flamand à ne pas confondre avec Louvain-la-neuve) est à 30 minutes de Bruxelles-Midi. Auparavant vous arriverez par l’Eurostar ou en TGV Inouï, moins onéreux mais plus lent. Le vélo reste l’idéal pour visiter le centre ville.
Pour y loger, Saint Martin’s kloster situé dans un charmant couvent médiéval restructuré. Martinshotels.com
° Pour boire une bière, le plus grand comptoir d’Europe se trouve sur la place du vieux Marché, Oude Markt, succession ininterrompue de 40 bars et terrasses qui s’appliquent à étancher la soif des volées d’étudiants. La brasserie Stella Artois est un lieu où l’on peut festoyer. Breweryvisits.com. Mais chez Malz ou de Blauwe Kater vous pouvez gouter une ribambelle de bières aromatiques et douces.
°Pour diner vous alternerez entre des tables simples et nourrissantes comme Kaminsky (Kaminsky.be) et d’autres aussi inventives que particulièrement recherchées, Zarza par exemple (Zarza.be) pourvu d’un charmant jardin.
Pour en savoir plus :