Le lundi 13 janvier 2025, le photographe Oliviero Toscani est décédé à l’âge de 82 ans, des suites d’une maladie rare. Célèbre pour ses campagnes audacieuses pour la marque Benetton, il a transformé la publicité en un véritable outil de réflexion sociale. Si son travail a toujours été marqué par une volonté de choquer, Toscani n’a jamais cessé de défendre son art comme une façon de « révéler les hypocrisies » de la société.
Dès son enfance, Oliviero Toscani se passionne pour l’art et la photographie. Après ses études en Italie, il intègre la prestigieuse Kunstgewerbeschule de Zurich, où il développe une approche rigoureuse et avant-gardiste de l’image. Très vite, son talent est remarqué : ses clichés publiés dans Elle et Vogue séduisent par leur audace visuelle. Mais la mode, qu’il juge trop vaine et déconnectée des réalités du monde, ne suffit pas à son ambition artistique.
En 1982, il devient le directeur artistique de Benetton, transformant les campagnes publicitaires en de véritables manifestes sociaux. Pour Toscani, la publicité ne devait pas simplement vendre, mais provoquer le débat.
Ses images frappantes ont abordé des thématiques variées, de la discrimination raciale à la peine de mort, en passant par les troubles alimentaires : tout devient matière à interpeller le public.
Loin des standards publicitaires traditionnels, Toscani frappe fort. En 1989, il choque avec une photographie représentant une femme noire allaitant un enfant blanc, une dénonciation frontale des préjugés raciaux. Deux ans plus tard, il utilise une image bouleversante : celle de David Kirby, mourant du sida, entouré de sa famille dans une posture rappelant les Pietà de la Renaissance. À une époque où le VIH est encore tabou, l’image provoque un séisme médiatique.
D’autres campagnes marquent les esprits : un prêtre embrassant une religieuse, des mannequins androgynes défiant les normes de genre, un soldat ensanglanté en pleine guerre des Balkans… Toscani refuse la complaisance et impose un langage visuel cru et puissant.
En 2000, il pousse encore plus loin l’expérimentation avec une campagne contre la peine de mort : des portraits de condamnés américains accompagnés de leurs noms et de leurs crimes. La controverse est immense et signe la fin de sa collaboration avec Benetton. Mais Toscani assume : « Si personne ne veut voir, qui le montrera ? »
En 2007, il s’attaque à un autre tabou avec la campagne No. Anorexia, où il photographie Isabelle Caro, mannequin souffrant d’anorexie. Une image bouleversante qui dénonce les dérives de l’industrie de la mode, mais qui suscite aussi des critiques sur l’utilisation du choc à des fins publicitaires.
Pour Oliviero Toscani, la publicité ne devait pas se contenter de vendre des produits, elle devait éveiller les consciences. En détournant les panneaux d’affichage et les pages des magazines pour en faire des espaces de débat, il transforme la publicité en un art militant.
Si ses campagnes furent souvent interdites en Italie ou en France, elles ont ouvert la voie à une communication plus engagée, où l’image devient un levier de réflexion sociale. Certaines marques ont suivi son sillage, mais peu ont osé aller aussi loin dans la provocation.
Toscani était un homme de contradictions : perçu comme un trublion, il était aussi un perfectionniste intransigeant, capable de passer des heures à traquer une émotion brute dans une photo. Ses collaborateurs le décrivent comme un artiste entier, à la fois tendre et autoritaire, toujours en quête d’authenticité. Ami des intellectuels et des artistes, il aimait s’entourer d’esprits libres, desquels il pouvait à la fois tenir tête et s’inspirer.
Paradoxalement, lui qui utilisait le scandale comme carburant était d’une pudeur déroutante sur sa vie privée. Père de quatre enfants, il protégeait farouchement sa famille des projecteurs. Passionné de musique classique, de cuisine italienne et de débats philosophiques, il cultivait une profondeur qui dépassait largement son image de provocateur.
Aujourd’hui, alors que Benetton peine à retrouver l’éclat de son âge d’or, le travail de Toscani reste une référence incontournable. Il a prouvé que la publicité pouvait être bien plus qu’un outil de consommation : un miroir des injustices, une arme contre l’hypocrisie.
Ses images, souvent choquantes, mais toujours porteuses de sens, continuent de résonner comme des témoignages d’une époque où l’art pouvait encore bousculer la société. Oliviero Toscani tire sa révérence en laissant derrière lui une œuvre qui, loin de s’éteindre, inspire encore ceux qui croient que la créativité peut changer le monde.
Avec lui, le scandale était un art, et l’art, une nécessité.
Visuel : © Wikipédia