Les voix actées d’Arthur H et des Exilés poétiques dans une zone de « libre-étrange »

Un concert poétique et militant pour la paix et la liberté

En ces temps politiques grisonnants, il est important de mettre en lumière des minorités que l’on entend si peu. Mais les écoute-t-on vraiment ? Ce soir, oui et on est touché. Parce que la musique est parfois plus puissante que les mots. Le concert commence. A la manière d’une troupe de cirque qui raconterait un conte, chaque personnage prend la parole un par un, nous séduit par son art et raconte son chemin de vie. Nassima et Azamat entament des chants ouïghours et même sans comprendre les paroles, l’on perçoit le message de cette prière sensuelle à la mélodie ascendante, comme une imploration vers le ciel dictée a capella par Nassima d’une voix douce de sirène, rythmée par l’écho lointain du tambourin d’Azamat. Les archipels poétiques et musicaux s’enchaînent. Aida Nosrat, chanteuse et violoniste iranienne, accompagnée de Babak, leur succède. Une question nous traverse, comment a-t-il été possible (ou impossible) pour Aïda de mener une carrière en Iran , elle, cette femme iranienne devant nous sur scène sans voile… ? Nous apprenons à la fin du concert qu’elle a fui son pays et qu’elle défend aujourd’hui ce mouvement « Femme, Vie, Liberté » , slogan politique kurde scandé dans les manifestations en Iran depuis 2022 pour la liberté et le droit des femmes. Puis Khaled Aljaramani et son oud chantent la paix et la résistance. Syrien issu d’une minorité druze, il nous emporte dans un air aux couleurs d’Orient pour la liberté, se rappelant de ces mères qui attendaient leurs enfants enfermés dans les prisons syriennes, manifestant contre la guerre en Irak, du temps de Bachar el-Assad. Moneim Rahma, poète soudanais déclame des vers en souriant . Il marche délicatement sur la pointe des pieds et parait même en lévitation parfois, suspendu entre une légèreté apparente et une histoire de vie très lourde. Quand on se demande qui il est, on nous répond que c’est un fervent militant pour la défense des droits humains, condamné à mort et libéré grâce au soutien international.

Attendant qu’ils soient tous réunis, Arthur H laisse la parole à ses protégés et n’apparaît sur scène qu’après un long moment annonçant que l’on se retrouve ici contre le fondamentalisme religieux, contre l’oppression islamiste. Artiste engagé, tel un cowboy avec son chapeau noir et son piano en guise de monture, il révèle ce soir un engagement artistique courageux. Ses accords plaqués sur le clavier du piano résonnent entre les couleurs du blues et les harmonies improvisées du Köln concert de Keith Jarrett. Petit à petit, une cohérence et une synergie relient tous ces artistes entre eux. La harpe voyageuse et délicate de la musicienne bretonne Morgane Le Cuff accompagne les nappes pianistiques d’Arthur H. Les voix se confondent, les percussions polyrythmiques et incantatoires de Mosin Kawa nous emmènent dans une sorte de transe maîtrisée. Les langues se mélangent sans frontières, Morgane le Cuff nous surprend en chantant en kurde un air folklorique.

La voix chaleureuse et rocailleuse d’Arthur H crée un lien d’humanité puissant, sous le regard des têtes de chevaux de bois du théâtre Zingaro. La cinéaste Hind Meddeb récite un poème d’Arthur H qui sera dans son film « Soudan, souviens-toi » décrivant la révolution au Soudan. Puis s’accompagnant au piano, le poète rockstar nous offre une version piano-voix d’une chanson de son dernier album, magnifique poème intitulé « La Vie » :

« À l’origine, une caresse qui te traverse/ Un regard qui t’éclaire et te protège/ À l’origine, quelqu’un qui te prend par la main/ Et qui te murmure « la vie, la vie, t’a choisi/ Oh, la vie, t’a choisi »/ (…)/ Et l’amour qui soudain se rétrécit/Et la flamme qui s’éteint, qui s’obscurcit/ À l’origine, quelqu’un qui te lâche la main/ Et qui te dit « la vie, la vie t’a trahi/ Oh, la vie, t’a trahi »/ (…) / Qu’à l’origine, une caresse te traverse/ Qu’un regard t’éclaire et te protège / Qu’à l’origine, quelqu’un te prend par la main/ Et te murmure la vie, la vie t’a guéri/ Oh, la vie t’a guéri ».

Une expérience immersive au théâtre équestre Zingaro

Fragile est un festival au combat audacieux qui célèbre le dialogue entre les peuples et les cultures grâce au langage commun de la musique. Il fallait un lieu particulier pour l’incarner. Le théâtre équestre Zingaro est très bien choisi. C’est un espace poétique créé à l’initiative du grand écuyer Bartabas et le spectateur vit une expérience qui s’apparente à du théâtre immersif depuis son arrivée jusqu’au feu de joie après le concert. On entre dans un grand restaurant charpenté de bois, au décor fantasmagorique, avec des marionnettes et des personnages qui nous regardent. Ici, on peut boire et manger avant et même après le concert, ce qui fait de cet endroit non pas uniquement une salle de spectacle mais également un lieu de vie et de partage. On se rencontre et on discute, et tout à coup un maître de cérémonie à l’accent imaginaire hispano-italien, se place en haut de son pupitre et nous invite à rejoindre le fameux théâtre Zingaro, qui se situe dans la cour. «Ses caravanes, sa musique, ses chevaux lui donnent l’apparence d’un cirque mais ici le spectacle est un rituel, la musique une vocation et l’amour des chevaux une religion. C’est l’œuvre d’une tribu d’artistes jusqu’au bout des ongles et des sabots. Tous ces êtres merveilleux font du mythe Zingaro une réalité insolente.» Bartabas.
Le spectacle de ce soir ne représente pas seulement un moment présent. Il fait écho à un passé douloureux partagé avec lumière grâce à la poésie et la musique, malgré les histoires ténébreuses des artistes réunis sur scène . Avec de l’espoir d’un avenir plus libre, avec le courage de s’exprimer et de ne pas se taire. Blaise Merlin, le directeur artistique du spectacle, avec Arthur H, ont su illustrer sans formatage et avec légèreté et douceur des sujets très lourds, de vie et de mort, de liberté artistique et d’oppression politique. Tout cela, raconté comme dans un conte pour enfants.

Clip officiel « La vie »