La Seine Musicale a frémi de tout son dôme pour les 40 ans des Victoires de la Musique. Créée par Claude Fléouter, Denys Limon, Pascale Tardy et le concours du ministre de la Culture et de la communication de l’époque, Jack Lang, cette cérémonie créée en 1985 s’est érigée comme un moment fort pour les acteurices de l’industrie musicale française. Largement critiquée pour sa longueur, son manque de grandeur et ses discours toujours plus lisses, cette cérémonie déçoit cette année encore, même si l’on salue certaines prises de paroles.
On nous avait annoncé du grand, du spectaculaire et des surprises pour ce 40e anniversaire, et le moins que l’on puisse dire est que la déception est à la hauteur des promesses. Le clip de cinq minutes d’ouverture résume bien les choses : en voiture, Serge Lama traverse Paris, du Moulin Rouge où s’était tenue la première édition qu’il présidait et La Seine Musicale, et voit défiler devant ses yeux les 40 années écoulées à coups d’archives… Bon, c’est joli mais si plat, si ringard… et surtout ce n’est pas le seul petit film auquel nous allons avoir droit pendant la soirée. On a l’impression qu’une part de la superbe et de l’émotion s’est étiolée au fur et à mesure des années. Heureusement, Alain Souchon, qui préside la cérémonie, a eu la bonne idée de nous épargner d’un discours long et pompeux et d’ouvrir en musique avec ses deux fils. Une « Foule sentimentale » tendre comme les roudoudous qui d’antan nous coupaient les lèvres, mais c’est bien là la seule surprise de la soirée…
En effet, on n’avait pas frôlé les 25 minutes de cérémonie que dans les rangs se chuchotaient des « bon, pas étonnant » à la remise de la première Victoire, celle de la création audiovisuelle au documentaire DJ Mehdi : Made in France de Thibaut de Longeville. En effet, cette année, côté nomination, dans deux catégories, il y a eu des surprises qui n’ont pas ravi tout le monde et qui ont fait jaser car elles ont été vues, à juste titre, comme un prélude à la récompense. Aussi, les cérémonies d’ouverture et de clôture des jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024 ont raflé le prix du concert de l’année. Si l’on comprend ces deux récompenses et que l’on apprécie la distinction, on déplore une forme d’injustice. Les moyens dont disposent les artistes pour réaliser un clip et pour monter une performance de concert sont nettement inférieurs à ceux alloués à la création d’un documentaire ou au budget donné pour l’organisation des cérémonies des JO. Une question donc : pourquoi ne pas avoir, dans le cadre de cet anniversaire, accordé deux prix spéciaux pour ces deux créations hors normes ?
Et la suite de la remise des prix n’est pas d’un grand fracas non plus… Zaho de Sagazan, révélation féminine 2024, repart avec le prix d’artiste féminine, et GIMS qui a enchaîné les hits cette année, empoche celui d’artiste masculin. Les stars, adulées par le public, Santa et Pierre Garnier, repartent respectivement avec l’album de l’année, et avec les prix de la révélation masculine et de la chanson originale de l’année pour Ceux qu’on était. On se réjouit de voir auréolées Solann de la révélation féminine et Yoa de la révélation scène.
Dans les paroles de « Foule sentimentale », Alain Souchon nous dit « il faut voir comme on nous parle » mais ce soir les artistes ne nous ont pas dit grand-chose. En l’état de la situation politique et du budget réduit voté pour la culture, on aurait aimé une cérémonie plus engagée qu’une simple huée au moment de la prononciation du nom de la ministre Rachida Dati et que tous ces mercis de circonstances. Pour commencer, les prix décernés n’ont pas fait la part belle à des artistes plus que méritant•es et qui restent dans l’ombre, sans reconnaissance publique de leur industrie : Justice, Yseult, Shay et Lucky Love.
Côté discours, nous sommes loin des prises de position des Grammy Awards. Si Victor le Masne et Thibaut de Longeville ont mis en avant la diversité de la musique en France, beaucoup d’artistes se sont présenté•es au pupitre pour dire qu’iels ne savaient pas quoi dire, et nous ont laissés un peu sans voix, même si on leur concède l’émotion de la réception d’un prix. Les filles sont peut-être celles qui se sont montrées les plus sororales, se saluant toujours les unes les autres et remerciant l’intégralité de leurs équipes, des danseureuses aux attaché•es de presse. Entre autres, Solann, si elle a oublié la liste des personnes à remercier, n’a pas manqué de glisser un mot pour toutes les personnes qui « passent leur temps à survivre au lieu de vivre » et mis un coup de projecteur sur l’association Utopia 56. Yoa a quant à elle chuchoté « à toutes les petites filles et tous les petits garçons métis et qui ont de grands rêves » de ne « jamais laisser personne {leur} dire qu’iels ne sont pas à la hauteur ». Mais celui qui a fait un coup de force, c’est Thomas Joly.
Auréolé du prix du concert de l’année pour les cérémonies des JO, il d’éclaire que cette victoire est celle « de l’unité sur la division, de la joie sur l’effroi, de l’accueil sur le repli, la victoire de notre aspiration à bien vivre ensemble, à se respecter, se considérer, la victoire de l’altérité comme force, de nos diversités comme richesse, la victoire d’un récit commun, les uns tout contre les autres et pas les uns contre les autres ». Il a loué le « pouvoir émancipateur et fédérateur du spectacle vivant, pour le singulier et le commun, pour l’individuel et le collectif, un outil pour faire société et célébrer notre humanité partagée. » Il nous dit aussi que « si le spectacle vivant porte en lui cette présence émancipatrice, il ne peut rien sans un pouvoir qui le considère et le soutient ».
Thomas Joly use de sa position pour dire son étonnement (et notre désarroi à toustes « en cette période de tourments multiples, de voir ici ou là les moyens pour la culture affaiblis ou tout bonnement retirés. La culture coûte, mais elle rapporte aussi économiquement. Mais ce qu’elle rapporte immatériellement est inestimable. Elle est au service de l’intérêt général. C’est ce que je crois être la vocation de la politique ». Un discours auquel il est difficile de ne pas souscrire.
Et preuve en est en image et en replay ! Puisqu’il s’agit de musique, si vous deviez regarder quelques performances (et vous épargner les 3h20 de cérémonie) foncez regarder les replays des trois hommages (le tableau de célébration à DJ Mehdi, l’interprétation de La Maritza par Axelle Sait-Cirel pour Sylvie Vartan, et le juke box en l’honneur d’Eddy Mitchell), les performances de Yoa, de Lucky Love, de Shay, de Solann et de Santa qui a commencé en l’air, tête à l’envers et qui a fait s’envoler treize violonistes.
Palmarès complet des 40e Victoires de la musique