Les prix Renaudot, Femina et Médicis entre couple, famille et introspection

Faire famille, vivre avec soi et en couple, ce sont les thèmes qui ressortent le plus des dernières sélections de trois des principaux prix littéraires français.

L’ombre des parents pour le prix Renaudot

Comme avec la pré-sélection du Prix Goncourt, parmi les 15 Romans sélectionnés pour Renaudot le 4 septembre, plusieurs explorent le thème de la famille, mais aussi l’attachement et la douleur du pays d’origine. Le ciel est immense, de Feurat Alani (JC Lattès), raconte la quête de vérité de Taymour sur la disparition en 1974 de son oncle, pilote irakien envoyé en 1967 par l’armée de l’air pour être formée en URSS. Son premier roman Je me souviens de Falloujah (JC Lattès) fut lauréat du prix du roman Version Femina 2023. Dans Finistère, Anne Berest (Albin Michel) approfondit la réflexion sur le passé de sa famille bretonne.

Trois livres se concentrent sur la figure de la mère. Dans Au grand jamais, de Jakuta Alikavazovic (Gallimard), une femme veut retrouver sa mère et comprendre les raisons de sa disparition. Dans Une drôle de peine, de Justine Lévy (Stock), l’écrivaine torturée fille de Bernard-Henri Lévy publie un roman à la première personne sur sa relation avec sa mère, décédée il y a vingt ans, et son expérience à elle de femme. Dans Quatre jours sans ma mère, de Ramsès Kefi (Philippe Rey), le journaliste venu de Rue89 fait ses débuts dans le roman. Salmane y recherche sa mère évaporée, sous fond de tiraillement entre son statut de quasi transfuge issu des quartiers populaires.

Les problèmes liés au géniteur obsèdent aussi d’autres auteur·ices sélectionné·es. Comme un père, de Christian Authier (Le Rocher) retrace les retrouvailles d’un père et de son fils, vingt ans après s’être vus la dernière fois. Dans In violentia veritas, Catherine Girard (Grasset) enquête sur le récit traumatisant de son paternel : celui du triple assassinat d’Escoire en 1941, énigme toujours irrésolue. Son père, Henri Girard, connu sous le nom d’auteur de Georges Arnaud, , acquitté en 1943, était le principal suspect. Déjà lauréat de trois prix littéraires à seulement 31 ans –Maison Rouge 2022, Blù Jean-Marc Robert, Bretagne-Priz Breizh –, Victor Jestin signe dans La Mauvaise Joueuse (Flammarion) un retour aux sources d’une accro aux jeux.

Natacha Appanah, Pierre Jourde et Fabrice Pliskin sondent les méandres de la psychologie humaine. La favorite du prix Goncourt le fait par l’objet du féminicide avec La Nuit au cœur (Gallimard). L’auteur et critique littéraire, lui, plonge dans la psychiatrie des clowns anglais du XIXe siècle, au travers d’une famille de clowns-acrobates, avec La Marchande d’oublies (Gallimard). Dans Le Fou de Bourdieu (Le Cherche-Midi), l’auteur examine, par le biais d’un bijoutier responsable d’un meurtre après un braquage,  les croyances et mensonges des êtres humains.

C’est aussi le pari que fait Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Grasset) avec Je voulais vivre. De manière plus fantasque, l’autrice fait de Milady Winter, sombre et vénéneux personnage dans Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, une héroïne qui se bat pour s’émanciper de la mainmise masculine. L’autrice fut déjà lauréate, en août, du prix de la rentrée pour ce roman.

Sylvie Le Bihan et Louis-Henri de La Rochefoucauld scrutent les relations, amicales pour la première avec L’Ami Louis (Denoël), amoureuses pour le second avec L’Amour moderne (Robert Laffont).

Michel Bussi fait figure d’exception dans cette sélection avec Les Ombres du monde (Les Presses de la Cité). Il y fait un retour historique et romanesque sur l’attentat du 6 avril 1994 au Rwanda qui a tué le président-dictateur Juvénal Habyarimana. L’événement déclenche le génocide de la majorité hutu contre les Tutsis et les Hutus modérés, représentant 10% de la population du pays.

La deuxième sélection de ce prix est prévu le 7 octobre, une troisième le 28 octobre, avant la proclamation du ou de la gagnante le 4 novembre.

Un prix Femina éclectique

Parmi la sélection des romans français du prix Femina, certains misent sur l’introspection, comme Anthony Passeron avec Jacky (Grasset), récit entremêlant l’abandon progressif de son père, à celle des grands inventeurs de jeux vidéo. Emmenez-moi, de Sarah Gysler (Éditions des Équateurs), retrace, lui, le parcours tourmenté de Sarah, l’autrice et narratrice, adepte de navigation et de poésie. Elle doit conjuguer avec le deuil difficile de son père. Dans Un mal irréparable, de Lionel Duroy (Mialet-Barrault), s’amorce une quête identitaire d’un écrivain après l’annonce d’un secret traumatisant le concernant. Dans Paranoïa,de Lise Charles (POL), l’autrice s’immerge dans le retour violent à la réalité d’une ancienne enfant-star.

La sélection laisse aussi à voir les multiples façons d’esquisser ce que représente le couple. Aimer, de Sarah Chiche (Julliard) fait renaître les sentiments d’anciens amours d’enfance à leur cinquantaine. Dans Il pleut sur la parade, de Lucie-Anne Belgy (Gallimard), de jeunes parents  tentent de comprendre la brutalité de leur fils, sur fond d’altérité religieuse. Dans Voyage voyage, de Victor Pouchet (Gallimard), un couple embarque dans un road-movie après un chagrin. La fin de la vie à deux et la force de se reconstruire seule, c’est le sujet de Tressaillir,de Maria Pourchet (Stock). Dans La nuit au cœur, Nathacha Appanah (Gallimard) favorite du prix Goncourt détaille le danger de l’intimité du concubinage via trois féminicides.

Dans Le monde est fatigué,de Joseph Incardona (Finitude), l’auteur imagine le parcours vengeur d’une femme employée comme sirène dans un des plus grands aquariums du monde. Sous la queue artificielle, son corps est mutilé.

Au grand jamais,de Jakuta Alikavazovic (Gallimard) a aussi été sélectionné. On retrouve à nouveau le sujet familial avec La Maison vide, de Laurent Mauvignier (Minuit), l’un des favoris du Goncourt, Officier Radio,de Marie Richeux (Sabine Wespieser) et Un frère, de David Thomas (L’Olivier) : portrait émouvant et douloureux de son frère schizophrène. Dans Tout ouïe,d’Alexandre Postel (L’Observatoire), l’autrice ébauche un roman un peu fantastique et analytique sur le pouvoir des mots et de la lecture. Avec Vertu et Rosalinde, Anne Serre (Mercure de France) peut s’enthousiasmer d’un triplé (presque) gagnant avec des premières sélections au prix Médicis, Femina, Décembre. L’autrice s’amuse ici à difracter en trente facettes son identité.

La deuxième sélection aura lieu le 30 septembre, la troisième le 21 octobre. Le ou la lauréate sera annoncée le 3 novembre.

Parité, identité et famille pour le prix Médicis

Neuf femmes sur 14 écrivains ont été sélectionnées, le 12 septembre, pour le prix mettant en avant les nouveaux auteurs.

Le motif familial est également omniprésent, avec Kolkhoze,d’Emmanuel Carrère (P.O.L), deuxième favori du Goncourt, La mauvaise joueuse,de Victor Jestin (Flammarion), La Maison vide, de Laurent Mauvignier (Minuit), troisième favori du prix littéraire le plus prestigieux, et Officier radio,de Marie Richeux (Sabine Wespieser).

Le jury semble aussi s’être intéressé aux multiples façons d’aborder les questions d’identité, comme avec Vertu et Rosalinde,d’Anne Serre (Mercure de France). On m’a jeté l’œil, d’Anya Nousri (Le Castor Astral) se lit comme la lutte intérieure d’une femme attachée aux croyances et traditions tout en étant happée par la liberté. Laure, de Kevin Orr (Seuil) suit le détachement d’un homme de son père en train de mourir, et la recherche de la paix grâce à Laure, son premier amour. Bébé, dans Les Projectiles,de Louise Rose (P.O.L), est une jeune femme perdue et résolue qui cherche un trésor enfoui pour renouer avec son enfance. Dans Les Forces, de Laura Vazquez (Éditions du Sous-Sol), la narratrice s’interroge sur son identité dans un contre-roman d’apprentissage.

Les autres œuvres sélectionnées ouvrent sur des thèmes variés. Julien d’Abrigeon énumère celles et ceux qui ont défié le ciel avec Qui tombe des étoiles (Le Quartanier). Avec La Nuit au cœur, de Nathacha Appanah (Gallimard), c’est le féminicide qui est mis en lumière. Dans Un amour infini, Ghislaine Dunant (Albin Michel) et Sporen, de Julia Sintzen (Corti) reviennent, elles, sur les relations sentimentales. Quant à Tovaangar,de Céline Minard (Rivages), elle y déroule un récit démiurgique, inventant le futur comme un fantasme de ce qu’était la Terre au moment de sa création.

Le 16 octobre, une deuxième liste sera publiée des romans français, étrangers et des essais avant l’annonce du prix le 5 novembre.