Dans Les Histrioniques, cinq comédiennes dissèquent avec humour le processus lent et douloureux, mortifère, du parcours des victimes de violences sexistes et sexuelles dans le théâtre, en quête de justice. Elles jouaient au Festival Wetoo, après une tournée à succès des salles et festivals lancée en 2023.
Comment rendre justice aux femmes victimes de violences sexistes, sexuelles et de harcèlement dans le milieu théâtral ? D’abord en faisant communauté avec le collectif #MeTooTheatre, engagé depuis 2021 dans la défense des victimes. Ensuite en diffusant le message, en empêchant l’omerta de se poursuivre tel un poison. C’est le choix qu’ont fait ces comédiennes et metteuses en scène avec Les Histrioniques. Cette pièce de théâtre survoltée et drôle revient sur le travail sisyphéen d’alerte de l’opinion sur ce fléau.
Parfois en commun, parfois seules, ces cinq femmes reviennent sur leur parcours au sein du collectif. Elles racontent le temps long des échanges sur le groupe Messenger, les questionnements, l’inquiétude, la difficulté, voire l’impossibilité à gérer une montagne de témoignages. Dans le chapiteau du « Magic Mirror » du festival féministe Wetoo, leurs voix résonnent face à un public déjà conquis.
Avec une économie de décor et une énergie débordante, les cinq femmes détaillent les mécanismes des hommes qui agressent et abusent, dans un cadre intime ou au cours d’un enseignement pratique en conservatoire.
Nadège Cathelineau, l’une des actrices de la pièce, transcende la scène en incarnant avec brio Thimothée Petit, metteur en scène fictif, fantasque et ridicule. Ce pleurnicheur adepte des alexandrins est persuadé d’être un génie alors qu’il traumatise les femmes qu’il viole. La jeune femme fait partie du groupe Chiendent avec Julien Frégé, qui créé des pièces en lien avec l’intime dédié au grand public. Ici, elle fait exploser son potentiel comique, risible. Elle révèle ainsi au plus grand nombre les coulisses d’un milieu masculin pas si stéréotypé. Les rires, cathartiques, éclatent dans la salle.
Le jeu intense des comédiennes rappelle que le terme « histrionique » a remplacé celui d’hystérique dans les classifications récentes des maladies mentales. Il s’agit d’un trouble de la personnalité caractérisé par un niveau émotionnel et de besoin d’attention excessifs. Cinq femmes sur scène crient, court, exposent les témoignages de victimes. C’est autant de rappel que les victimes qui parlent sont accusées de faire leurs intéressantes, d’être narcissiques, de récolter de l’argent grâce au procès. Toutes cinq passent naturellement d’un rôle à l’autre, d’elle-même aux agresseurs.
Pourtant, les personnes qui accusent n’ont rien à gagner, ni au procès, ni pour leur carrière. Plutôt à perdre beaucoup d’argent et leur réputation. Marie-Coquille Chambel, l’une des actrices et la première à avoir initié le mouvement #MeTooTheatre sur Twitter – X aujourd’hui – , en sait quelque chose. Elle y témoigne avoir été « frappée » par un comédien de la Comédie-Française en 2020. Depuis, elle subit un cyberharcèlement quotidien. Le témoignage qu’elle livre dans la pièce est fort, empreint d’une colère teintée de pudeur.
Toujours avec humour, par de grands gestes inutiles, les personnages décrivent l’information qui s’évanouit, se disperse comme par magie, mystérieusement, malgré les appels réitérés du collectif qui alerte. Piochant dans le théâtre documentaire, les militantes exploitent ce mélange entre désolation, découragement, impuissance, colère, et cynisme, bien réel. « Oups, il semble qu’il y a eu un trou dans la raquette », déplorent les artistes.
Elles sont seulement cinq sur scène face à un mur, celui de la justice. Les actrices rappellent que l’institution aux yeux bandées n’instruit les plaintes, quand elle le fait, qu’en moyenne « huit ans après les faits ».
C’est un cri du cœur pour que justice soit rendue, et que les instruments de la démocratie l’y aide. L’avocate, personnage invisible seulement mentionné, incarne l’espoir que les instruments judiciaires fonctionnent en faveur des victimes. La journaliste, la liberté d’expression. Dans cette dissection comique et sensible du processus de guérison, Les Histrioniques informe avec justesse sur un mal qui imprègne tous les pans de la société, et que seule la parole peut guérir. Elles se produisent encore du 20 au 22 novembre au Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon.
Cinq comédiennes du collectif #MeTooTheatre ont choisi le théâtre pour raconter le parcours tourmenté des victimes de violences sexistes et sexuelles. ©Alain Monot