Pour cette saison 2025-2026, la scène explore le corps comme espace de résistance, de mémoire et de réinvention. À travers la force de la voix, du geste et du texte, les artistes questionnent les normes, déconstruisent les récits établis et ouvrent des possibles. Une programmation engagée, plurielle, où chaque pièce devient un manifeste artistique et politique.
Le mouvement féministe dépasse la seule portée politique : sur scène, joué, dansé, chanté, il déconstruit nos imaginaires, interroge les normes et bouscule les représentations. Ces créations montrent comment le corps devient un espace de résistance et de mémoire collective. La théorie du genre éclaire ce travail, rappelant que le genre se construit socialement. Sur scène, les corps deviennent manifestes vivants, inventant d’autres façons d’être et incarnant la force d’une transformation sociale.
De King Kong théorie à Poussez-vous les mecs, voilà notre sélection de spectacles féministes pour cette saison 2025-2026 :
Du 14 au 22 novembre au Théâtre Silvia Montfort (Paris)
L’essai féministe de l’écrivaine à succès, Virginie Despentes (Baise-moi, Apocalypse bébé, Les Jolies Choses, Vernon Subutex…), paraissait en 2006 aux Editions Grasset. 20 ans plus tard ce texte avant-gardiste et tranchant est toujours d’actualité. La preuve en est, Vanessa Larré n’en est pas à son coup d’essai. L’actrice et metteuse en scène adapte pour la première fois le récit en 2014, avant de retourner sur les planches en 2017, 2018 et 2024 dans différents théâtres parisiens et à Villeurbanne. Une mise en scène atypique et euphorisante, à l’image de l’autrice.
Les mots de l’écrivaine mêlés à l’énergie scénique des comédiennes en une pièce pour interroger et repenser l’assignation culturelle et sociale du corps des femmes. Ici, le corps devient terrain d’émancipation, corps qui parle, qui hurle et qui résiste.
J’écris de chez les moches, pour les moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf […].
Du 2 au 3 octobre à l’Espace 1789 (Saint-Ouen)
En 2021 sortait sur la plateforme Arte, H24. Inspirée de faits réels, la série mettait en scène 24 portraits troublants de femmes. 24h dans la vie d’une femme avec, entre autres, les actrices Diane Kruger, Kayije Kagame, Souheila Yacoub…
Saisie par ces récits, la chorégraphe Mathilde Monnier propose une version scénique de l’œuvre cinématographique. Une proposition chorégraphique qui interroge les corps dans l’espace public et l’intime. Entre musique, geste et émotion, huit interprètes donnent corps à une parole collective, faisant surgir sur scène une vision qui interroge les normes et les violences. Le corps devient alors mémoire et manifeste, instrument de résistance.
Un spectacle sur fond de musique électronique « entre émotion, dérision, réalisme et humour ».
Du 29 au 30 janvier revient au Théâtre 71 (Malakoff) et le 2 avril Théâtre Firmin Gémier (Antony)
Isabelle Lafon revient cette saison avec sa pièce polyphonique et saisissante ; une pièce au diapason de 4 femmes, 4 femmes d’âges et de milieux différents qui sont amenées à vivre ensemble. Une colocation toute en émotion partagée entre les désirs et les peines de ses habitantes. Des portraits passionnés qui explorent l’intériorité de ses colocataires qui ont toutes en commun un rapport particulier à l’équitation. Loin des carcans sociétaux, des corps de femmes qui s’agitent, choisissant de ne pas se conformer, en vivant ensemble éloigné du masculin.
« Ses conditions ? Aimer les chevaux, ne pas apporter ses meubles, et s’occuper de Madeleine, (…). Plus qu’une simple colocation, c’est bien une autre manière de faire famille que cherche Denise ».
Du 8 au 12 octobre au Théâtre des Bouffes du Nord
L’actrice Adèle Haenel, dont le parcours se distingue par son engagement féministe et son militantisme, s’empare d’un des monuments de la littérature lesbienne et féministe, Monique Wittig (Le Corps lesbien, L’Opoponax, Les Guerillères…). La romancière aussi philosophe, théoricienne et militante a largement influencé la théorie féministe avec la notion de « contrat hétérosexuel » théorisé dans son essai La Pensée straight. Le collectif DameChevaliers – dont fait partie la comédienne Adèle Haenel – « met le feu au centre de la scène, le feu autour duquel on se réunit pour discuter, réfléchir et inventer un autre monde ». Un spectacle sonore qui fait corps avec le public.
Du 19 au 30 novembre à la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis (Bobigny)
Alice Diop, la réalisatrice de Saint-Omer (primé à la Mostra de Venise) Mariannes Noires ou encore Nous est de retour, sur les planches cette fois, avec une pièce à partir des textes de la poétesse afro-américaine, Robin Coste Lewis. Une épopée qui retrace et interroge l’exposition et la place du corps des femmes noires dans l’art. Une femme sillonne, en rêve, tous les musées du monde. Elle part en quête de tous les corps brisés de femmes Noires (…). Les mots de Robin Coste Lewis et le regard d’Alice Diop s’allient en une pièce politique et lumineuse.
Du 24 septembre au 17 octobre au Théâtre Gérard Philippe (Saint-Denis)
La metteuse en scène Julie Deliquet décide d’adapter l’essai documentaire de la journaliste biélorusse, Svetlana Alexievitch. « La guerre est toujours racontée par les hommes » c’est en partant de ce constat que la journaliste, en 1975, a décidé de s’accaparer de ce pan très masculin de l’histoire. Elle commence alors une enquête de longue haleine auprès des combattantes de la Grande guerre patriotique (expression qui désigne le conflit entre l’Union soviétique et l’Allemagne Nazie). Un corps pluriel qui raconte, se souvient et résiste, loin des stéréotypes de genre qui réduit la guerre à une affaire d’hommes.
« Pour adapter cette œuvre documentaire chorale, Julie Deliquet et son équipe recomposent une histoire à partir de neuf de ces voix solitaires, et forment un corps collectif qui dialogue ».
Du 26 novembre au 06 décembre au Théâtre de la Ville (Les Abesses)
3 femmes comédiennes et dramaturges, Veronika Bachfischer, Sarah Kohm et Élisa Leroy, adaptent à la scène le roman autobiographique d’Annie Ernaux (prix Nobel 2022), Mémoire de fille. Un roman d’apprentissage dans lequel la jeune Annie débute avec effroi sa vie sexuelle. Un « texte essentiel » à la fois intime et universel, qui prend vie sur les planches pour interroger la banalisation d’une domination masculine toujours à l’œuvre. Le corps se fait alors livre ouvert, manifeste de mémoire et de désir.
Du 26 au 29 novembre au Théâtre du Rond-Point (Paris).
L’autrice compositrice et metteuse en scène Claire Diterzi choisit de porter à la scène son obsession non pas pour le légendaire personnage du roman de Tolstoï, Anna Karénine, mais pour sa fille, Anny. Si le roman s’achève avec la mort de l’héroïne qu’advient-il de sa fille ? Claire Diterzi apporte une réponse en un spectacle musical qui traverse les époques pour faire vivre un personnage laissée de côté par son auteur. Ici la fille (de) se libère des contraintes genrées en s’émancipant à travers la musique. Le rêve d’Anny ? Devenir batteuse de rock.
« Un parcours hors du commun qui résonne comme une formidable quête d’émancipation féminine et collective ».
Du 17 au 20 décembre au Théâtre du Rond-Point (Paris)
La danseuse et chorégraphe française Olivia Grandville met en scène une pièce comique et politique pour interroger nos rapports à la virilité. Sur les réseaux sociaux, dans les médias, les masculinistes font leur grand retour. Le torse bombé, ils revendiquent une virilité nécessaire à notre société menacée par le mouvement féministe. La chorégraphe et ses 7 danseurs « composent une pièce chorale jubilatoire, en résonance avec les révolutions féministes ». Un spectacle qui redéfinit la notion même de genre. Virilité ? Féminité ? Des corps en mouvement qui bousculent et se moquent de ces frontières.
Quand la danse s’attaque, avec humour, aux stéréotypes de la masculinité
Du 1er au 18 octobre au Théâtre de la Ville
À partir de l’œuvre de Claire Bretécher, l’actrice et metteuse en scène Cécile Garcia-Fogel, porte à la scène une pièce humoristique et féministe. Bretécher était une auteure de bandes dessinées aux traits féministes (Les Frustrés, Les Mères, Agrippine…) « un brin vachard » avec un « sens de l’autodérision salutaire ». Ses BD humoristiques illustrant des histoires de femmes ont contribué à l’émancipation de ces dernières. Seule femme dans le paysage français de la BD, Bretécher déclarait en 1974 partager de « A à Z le point de vue de Gisèle Halimi ». Sur le même ton que son aïeule, l’actrice livre une performance drôle et originale. Ici, le corps est manifeste, langage et espace de liberté.
Visuel : Cavalières d’Isabelle Lafon (au Théâtre de la Colline en mars 2024) © Laurent Schneegans.