Depuis seize ans, le Festival des Escapades Musicales anime les paysages du bassin d’Arcachon avec une programmation itinérante exigeante, ancrée dans les territoires et tournée vers la découverte de jeunes talents. À l’occasion de la clôture de cette édition 2025, nous avons rencontré Pejman, chef d’orchestre et fondateur du festival, ainsi que Thomas Tacquet, pianiste et complice artistique de longue date.
Pejman : Ah, nous étions jeunes ! On s’est connus à l’occasion d’un projet que je menais avec l’orchestre et le Chœur Victorien d’Île-de-France. À l’époque, Thomas était très jeune, il accompagnait le chœur au piano. Ce projet remonte à une bonne dizaine d’années, au moins. Je dirais 2013, donc peut-être même douze ans.
Thomas Tacquet : Oui, tout à fait.
P. : J’avais repéré la qualité musicale de Thomas, elle m’avait vraiment marqué. Je me suis dit : « Tiens, voilà quelqu’un avec qui j’aimerais retravailler ». Et de fil en aiguille, sur d’autres productions, je l’ai rappelé. On a même interprété Les Tableaux d’une exposition ensemble, où tu jouais de l’harmonium.
T.T. : C’était une très belle expérience.
P. : Et puis, on a continué. Tu as fondé ton propre chœur.
T.T. : Oui, et nous avons mené plusieurs projets ici avec Fiat Cantus.
P. : Et puis aussi avec le chœur de Michel Piquemal, dans cette chronologie. C’est là qu’on a découvert de nouveaux talents. On avait notamment identifié Lisa Chaïb-Auriol, et bien d’autres.
T.T. : Lisa qui est revenue la semaine dernière pour le concert que nous avons donné. Entre-temps, elle est passée par l’Académie de l’Opéra de Paris, et aussi par le CNSMDP.
P. : Oui, je l’ai fondé il y a seize ans avec cette idée d’un festival itinérant qui mettrait en valeur les plus beaux sites du bassin d’Arcachon. Au départ, nous étions présents dans quatre communes ; aujourd’hui nous en couvrons douze. C’est devenu une itinérance très dense : nous parcourons plus de 1000 kilomètres pour donner quinze concerts répartis sur cinq week-ends. Ce sont cinq week-ends thématiques, avec trois concerts à chaque fois – jeudi, vendredi, samedi. On invite le public à vivre un véritable voyage : à travers le territoire, à travers le patrimoine – qu’il soit naturel ou bâti. Par exemple, nous jouons parfois au pied du phare du Cap Ferret, là où nous sommes installés en ce moment. Mais aussi dans des lieux emblématiques : des châteaux exceptionnellement ouverts pour nous, ou encore des vestiges gallo-romains à Andernos. Une attention particulière est portée à l’acoustique : j’ai fait concevoir des conques en bois, et même un auditorium mobile – un « philar mobile » – qui représentait un gros investissement. Il a d’ailleurs été racheté par le département des Yvelines, qui a adoré le concept.
P. : Non, je suis parisien, mais nous avons une maison de famille sur la Presqu’île. L’idée du festival a germé ici, encouragée par des amis qui m’ont dit : « Tu vis à Paris, tu es chef d’orchestre, tu as un réseau… pourquoi ne pas créer un festival ? » Dès le départ, l’idée a été de fédérer, de faire le tour du bassin pour rassembler les publics, et créer une identité commune.
P. : Environ 7000 spectateurs. C’est déjà une belle jauge. Et chaque année, nous recevons entre 1500 et 2000 jeunes dans le cadre de journées pédagogiques organisées avant le festival. C’est une mission à laquelle nous tenons beaucoup.
P. : Non, pas du tout. Thomas est un partenaire artistique, un complice régulier. Il est invité ce soir et a participé à deux concerts cet été. C’est un artiste avec lequel nous collaborons souvent, ici, à Paris, ou même à l’étranger.
T.T. : Pejman est trop modeste. Il faut aussi mentionner qu’il y a chaque année plusieurs concerts en entrée libre – trois cette année – pour rendre la musique savante accessible au plus grand nombre. Il y a également une ouverture au jazz, et à d’autres formes de musiques patrimoniales. Le festival permet à de nombreux ensembles indépendants et jeunes artistes d’émerger, de faire leurs débuts ou de construire de très beaux programmes.
P. : Oui, nous faisons beaucoup de créations. Une grande partie des programmes que vous entendez ici sont conçus spécifiquement pour les Escapades. Hier soir, nous avons reçu Baptiste Herbin, un immense saxophoniste de jazz, avec son programme Django que j’avais découvert à Paris. J’en avais été subjugué. Mais sinon, beaucoup des programmes sont inédits et pensés pour ce lieu. Bien sûr, nous les diffusons ensuite ailleurs, comme le Requiem que nous donnons ce soir, qui a été créé ici mais sera repris au Théâtre de Maromme.
P. : Oui, nous remettons ce soir deux prix Révélation Escapades Musicales. C’est une tradition que nous avons instaurée depuis plusieurs années. Il y a quelques temps, nous avions remis ce prix à Thibaut Garcia, bien avant sa Victoire de la Musique.
P. : C’est selon. Il s’agit de véritables coups de cœur du directeur artistique. Ce sont des artistes que je repère tout au long de l’année.
P. : À l’origine, c’était un seul. Mais depuis l’année dernière, pour le 15e anniversaire du festival, nous en remettons deux. La Fondation Engie a accepté de soutenir cette évolution, et je leur en suis très reconnaissant. Cela nous permet de mettre en lumière des artistes comme Diego, par exemple, qui avait déjà une carrière prometteuse mais dont l’élan a été freiné par la pandémie. Aujourd’hui, nous accompagnons aussi des artistes un peu plus âgés – 30, 32, 33 ans – qui ont subi de plein fouet cet arrêt brutal. Ce que je dis est vrai : lorsque vous écoutez leurs récits, vous réalisez à quel point certains étaient sur le point d’exploser et que tout s’est interrompu. Alors oui, on soutient des jeunes, mais aussi ceux dont le parcours a été un peu cabossé, et que nous essayons d’aider à relancer modestement.
T.T. : C’est formidable. Ce sont des artistes déjà très accomplis, qui ont des idées musicales fortes, une grande souplesse, une technique remarquable. Cela permet d’aller très loin, très vite. Hier, on pouvait même réinventer certaines parties, ajouter des éléments – ce qui serait impossible sans leur solidité.
P. : Leur intelligence musicale est précieuse. Nous avons travaillé ensemble hier, et je leur ai donné des indications très précises : ils les intègrent immédiatement. C’est une joie de travailler avec eux.
T.T. : Ce que je trouve également très fort dans la démarche de Pejman, c’est que ces artistes ne sont pas seulement invités pour un soir. Il y a un réel accompagnement dans la durée. C’est rare. Souvent, les prix sont des coups isolés : on reçoit un chèque, et le lendemain, tout est terminé. Ici, on leur permet de revenir, de proposer leur propre programme l’année suivante.
P. : Exactement. Lisa, par exemple, a été lauréate en 2019. Elle revient régulièrement. Le Quatuor Métamorphoses, que j’ai soutenu pendant la période Covid, est également revenu. Je leur ouvre des scènes comme la salle Gaveau. Avec Diego, Claire de Monteil ou Olivier, nous avons donné des concerts à Saint-Germain-des-Prés, à la basilique Saint-Rémy, parfois devant 800 personnes. Et avec Génération Mozart, nous avons même fait des tournées autour de programmes spécifiques.
P. : Oui. Thomas a raison de le dire. Je suis violoncelliste de formation, devenu chef d’orchestre un peu par accident, puis directeur artistique, puis opérateur culturel. Aujourd’hui, je mène plusieurs projets : la résidence de l’Orchestre de l’Alliance dans les Yvelines, très présent à Paris notamment pour des actions solidaires ; Génération Mozart, un ensemble spécialisé dans le XVIIIe siècle basé en Champagne – on marie le nectar des Lumières, le champagne, avec la musique des Lumières. Car Mozart est à la musique ce que le champagne est au vin. Et bien sûr, les Escapades musicales, qui ont atteint une forme de maturité après seize années. Tous ces projets sont liés, en cohérence. Je m’occupe aussi d’un programme musical à l’Opéra de Mahón à Minorque, ce qui permet à ces artistes de rayonner ailleurs.
T.T. : C’est aussi ce que je trouve très beau dans ce festival. Beaucoup pourraient se contenter de signer des chèques, de faire venir trois têtes d’affiche. Ici, on construit. On construit avec le territoire, avec les habitants, avec les artistes. Et cela devient rare.
P. : Nous avons aussi la chance d’être entourés d’une équipe de bénévoles extraordinaires. C’est une richesse inestimable.
Visuel : © Affiche du festival