Le dessin est au cœur de l’actualité et des créations culturelles. La dessinatrice de Tom-Tom et Nana, Bernadette Després, est morte mercredi dernier. Et au rayon nostalgie, la page blanche est éternelle : de façon très symbolique, pendant quelques heures, les rues et les champs se sont parés de blanc. Un blanc de paradis un peu perdu, une incursion de Noël où tombe la neige et résonne la voix de Mariah Carey…
La déferlante de films animés de ces derniers mois, et l’émoi qu’ils suscitent, ont éveillé notre curiosité sur cet objet hautement consommé, souvent par les plus petit·es d’entre nous. Les chiffres parlent : 40 millions, c’est autant que le nombre de mangas vendus l’an dernier en France !
À une époque où nous sommes tellement conscient·e·s que les images sont truquées, les traits qu’une main dessine sont à la fois intimes et politiques, subjectifs et – sans galvauder le mot – universels. Au point qu’une collection, qui vient d’être lancée aux éditions Rouquemoute, s’appelle « Résilience ». Alors que nous sortons d’une BD à tous les étages au Centre Pompidou, que le dernier Festival de Cannes a remis sa palme au Studio Ghibli et qu’en ce moment même, le Forum des Images propose son célèbre Carrefour du cinéma d’animation, qui réunit le monde entier de cet univers magique à Paris – avec jusqu’ au 29 novembre, une 21e édition haute en couleur, avec notamment des soirées Japanim et des focus sur des écoles –, on pense à la phrase choc de Chiara Malta, co-réalisatrice avec Sébastien Laudenbach de Linda veut du poulet, lors de la réception de leur César du Meilleur film d’animation 2024 : « Réaliser un film pour les mineur·es n’est pas faire un film mineur. » Une petite phrase qui dit tout de la mission qui sous-tend le cinéma d’animation. Tout en poésie et non sans humour, Linda veut du poulet croque les relations familiales et amicales, autant que le rapport au deuil et au souvenir d’un être cher. De la même manière, en 2015, Claude Barras et les studios Disney avaient chacun produit une onde de choc : le premier avec Ma vie de courgette, narrant l’orphelinat et la vie à hauteur d’un enfant de 10 ans, et le second avec le premier volet de Vice-Versa.
Le dessin, avec ou sans couleur, permet la douceur à l’explication, la délicatesse à la transmission. Ces dernières semaines, des films d’animation aux messages ambitieux et à la qualité irréprochable ont pris place sur nos écrans. Certains s’attaquent à éveiller les consciences quand au réchauffement climatique, par exemple Sauvage de Claude Barras (en salle le 16/10) qui appuie son récit sur la lutte contre la destruction de forêts ancestrales, ou encore Flow de Gints Zilbalodis (en salle le 30/10) qui se penche sur la montée des eaux. D’autres s’attachent à des univers connus pour promouvoir des messages universaux de paix, de cohabitation, de confiance en soi comme le cultissime Coraline, ressorti remasterisé en salle le 6/11 pour son 15ᵉ anniversaire, ou encore le second volet de Vaiana 2 (en salle le 27/11). Mais un film marque plus que tout autre ce début d’hiver : La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius. Mise en image du conte éponyme de Jean-Claude Grumberg, ce film parle de la Shoah avec une rare délicatesse, et c’est bien le dessin qui permet cette médiation historique sensible. Hazanavicius alterne entre des images typiques de livres pour enfants, usant de couleurs et de contrastes, pour dépeindre la vie du couple, mais il se sert aussi du trait sombre du fusain pour décrire la vie des camps de concentration.
Le tracé rend l’Histoire plus intelligible, plus entendable, bien qu’aucun détour ne soit concédé. Il permet de rendre accessible l’impalpable, l’indicible, l’inimaginable. C’est ainsi que ce médium s’insère partout : sur scène, via les concerts dessinés, comme nous avons pu le voir à Jazz’n’Klezmer lors du concert d’ouverture du festival sur les enfants d’Izieu, en musique dans nombre de clips, de Pomme à Zaho de Sagazan, et dans les ouvrages bien-sûr, de Tom-Tom et Nana à la pléthore de romans graphiques qui envahissent les étales.
Dans le spectacle vivant, les images filmées priment sur celles dessinées, mais ces dernières marquent les esprits. On peut notamment citer le travail de Victoria Lomasko qui, dans sa pièce Five Steps, présentée en 2023 au Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, utilise le dessin comme filtre de pudeur. Elle est russe, elle est activiste et artiste. Opposée au régime, elle doit fuir. De façon clinique, elle dessine à traits fins les contours anguleux de son départ et de son arrivée en Europe… La preuve en est, le dessin est politique, une arme pour dire, clamer à plume brandie !
À gros traits ou à pointes fines, nous vous souhaitons une belle semaine !
Laura, Amélie et Yaël
|
|