« Elle est l’actualité même » disait d’elle, Marguerite Duras dans un article de France Observateur en 1958. « Belle comme une femme, mais préhensile comme une enfant » (Encore Duras), Brigitte Bardot était à la fois une immense actrice et un symbole absolu de liberté.
En 2003, Jacque Derrida écrit après la mort du penseur Maurice Blanchot, retiré de l’espace public et dont on n’avait plus vu le visage depuis plus de 40 ans : « Je me réconfortais parfois, en jouant au naïf à l’espérer immortel, en tout cas moins sujet à mourir, si je puis dire, que nous tous. ». Ca marche peut-être encore mieux avec une star de cinéma qu’avec un critique littéraire, cet esprit naïf. Le retrait brusque à 40 ans de Brigitte Bardot, icône absolue de son époque, dans sa Madrague, que l’on soit ultra-sensible ou non à la cause animale, semblait la protéger de tout (ou presque). Alors que Gainsbourg, Moreau, Delon, Birkin, Piccoli, Rochefort et bien sûr Autant-Lara, Duvivier, Clouzot, Vadim, Malle, Godard nous ont quittés depuis des mois et des années, « BB » avait disparu depuis si longtemps de nos écrans, qu’on espérait qu’elle reste toujours un peu là, en coulisses. Ce que nous a laissé d’ailleurs espérer la série Bardot de France Télévisions, il y a deux ans. Son ultime hommage est cependant à travers le documentaire de cinéma sobrement intitulé Bardot et sorti en salle il y a à peine quelques semaines, ironie du sort. Elle y fait sa dernière apparition, son dernier pardon, on y entend sa voix, pour la dernière fois (lire notre article). Le film salue son courage, sa façon d’aimer, et son combat pour les causes qu’elle estimait juste (la seule à prendre la parole pour venir en aide à Josephine Baker).
De son apparition crépitante et dansante dans Et Dieu créa la femme (1956) aux duos exotiques (Viva Maria ! de Louis Malle avec Jeanne Moreau) ou olé olé (avec Gainsbourg bien sûr), en passant par le déclenchement de modes irrésistibles (les ballerines, le bandeau dans les cheveux crêpés, le Vichy et les cuissardes nécessaires pour la Harley-Davidson…), Bardot a incarné à mille occasions la femme fatale (notamment celle de Pierre Loüys chez Autant-Lara) sans jamais en subir les conséquences. Tropézienne, libre, de chanter juste ou faux, de se mouvoir en danseuse éternelle, elle incarnait derrière sa moue inoubliable et avec un naturel libérateur, la femme ultime du second 20ème siècle. Une reine, donc, qui donnait à croire que « Tout un chacun peut rencontrer sa reine Bardot » (Duras). Et même quand c’est pour en exprimer la mélancolie, dans le Rome ultime de Camille dans le Mépris, de Jean-Luc Godard, c’est avec une pulsion de vie infinie qu’elle habite – plus qu’elle ne hante- la maison de Malaparte, le lit (et le bain) de Michel Piccoli et les reflets des dieux menaçants de Fritz Lang.
Alors qu’en fait, cela fait plus de 50 ans qu’on a dit adieu l’actrice Bardot, elle excellait dans ce domaine et il serait bien dommage de la réduire à l’icône. Bardot c’est plus que le cri d’une époque qui voulait se débarrasser des carcans. C’est aussi un maillon dans la grande chaîne du cinéma français et des actrices les plus exceptionnelles qu’il nous ait été donné de voir à l’écran. Il ne faudrait pas oublier qu’elle tourne aussi avec Duvivier, Autant-Lara, Verneuil et même Guitry dans les années 1950 et qu’elle a fait face sur un plateau à Bourvil, Jean Marais et Charles Boyer aussi bien qu’à Sami Frey, Kirk Douglas et Marcelo Mastroianni. Capable de jouer la comédie, adulée quand elle joue à Saint-Tropez ou à Genève (Vie Privée de Louis Malle) un rôle qui n’est autre que le sien, elle est absolument sidérante en femme du peuple, traduite aux assises pour meurtre passionnel dans La Vérité de Georges Clouzot, film qui est celui qui mérite peut-être le premier d’être vu et revu.
Nous démultiplions donc les adieux, en ce jour à Brigitte Bardot, la femme de 91 ans nous quitte. Et nous espérons bien nous replonger dans ces films qu’on n’a jamais arrêté de projeter et même parfois de découvrir restaurés.
À voir : le documentaire Bardot, actuellement au cinéma.
Visuel © Gaumont / Malavida