Chaque semaine, les deux rédactrices en chef de Cult.news, Yaël Hirsch et Amélie Blaustein Niddam partagent leurs impressions culturelles avec les lecteurs et lectrices de notre newsletter. Vous retrouverez dans les pages de votre journal les morceaux choisis de ces édito. Ce 16 janvier : la parole des créatrices dénonce des emprises criminelles.
Six ans après l’explosion du mouvement #MeToo avec l’affaire Weinstein en 2017, la parole se libère, non seulement brute, sous forme de témoignage, mais également libre, sous forme de création culturelle. Des années après les abus traumatiques qui les ont brisées, souvent à un très jeune âge, plusieurs femmes prennent la plume, la caméra ou la scène pour raconter les choses à leur manière. La création formelle est une réappropriation cruciale qui ne sublime rien, mais qui transforme les relations de pouvoir.
Ainsi, le 6 janvier dernier, sur son compte Instagram, c’est presque contrainte et forcée par le choc subi lors de la projection d’un documentaire de 2011 que Judith Godrèche met un nom sur celui qui l’a tenue sous emprise, à 14 ans. Benoît Jacquot y affirme impunément que la « différence d’âge excitait » sa proie, et que le cinéma permet cette transgression. C’est presque dommage qu’elle ait dû à ce point être explicite, tant Icon of French Cinema, sa mini-série de 6 épisodes disponible depuis le mois de décembre sur Arte, regorge d’humour, de sincérité et de fantasque pour lutter contre les fantasmes criminels et analyser cette emprise et son onde de choc sur sa propre vie.
Cette vague finalement assez nouvelle d’un #MeToo performatif semble avoir commencé dans les livres. Alors que nous sommes encore sous le choc du terrible et magnifique Triste Tigre de Neige Sinno qui revient sous une forme littéraire très forte sur les viols qu’elle a subis enfant, c’est Vanessa Springora la première qui avait jeté un pavé dans la mare de ces années 1990 où des artistes influents et matures trouvaient « très excitant » de se promener avec, à leur bras, une femme mineure. Dans un roman paru en 2020, elle raconte de son point de vue sa relation avec l’écrivain Gabriel Matzneff et l’emprise dont elle a eu du mal à sortir. Son livre interroge, dans son titre même, un des fondements de nos États de droit, Le Consentement. Il a été également adapté à la scène (Ludivine Sagnier reprend le rôle au Théâtre du Rond-Point, à partir du 7 mars) et à l’écran.
Si, pendant un temps, ces mineur.e.s sous emprise et abusé.e.s ont pris la parole à travers les œuvres de tiers – Lola Lafon dans Chavirer, Andréa Bescond et Éric Métayer avec Les Chatouilles ou Camille Kouchner pour La Familia Grande – ils, et de fait surtout elles, ont désormais le pouvoir de créer et de parler pour elles et eux-mêmes. On note, notamment sur les scènes, des paroles de plus en plus nombreuses et libres d’exister. Rébecca Chaillon présentera, au festival Hors Pistes, Où la chèvre est attachée,il faut qu’elle broute. Cette pièce, comme toutes les précédentes et les suivantes, ne parle que de l’urgence à condamner les systèmes de domination masculine partout et tout le temps, ici, dans le sport. Et au-delà de la colère, beaucoup s’autorisent à être pour elles-mêmes fières sur les plateaux. Nach qui krumpe pour sortir de sa Cellule, Louise Belmas qui s’amuse seule dans ses multiplicités à devenir celle (ou celui) qu’elle veut…
Les exemples ne manquent pas. L’air du temps est à la conquête et au parler fort. On adore !
Une belle semaine à vous chères lectrices et chers lecteurs,
Amélie et Yaël
Visuel (c) Affiche / Arte