Certains spectateurs présents dans la salle de l’Adidas Arena se souviennent encore, avec émotion, de ce soir du 11 décembre 1989. C’était à l’Elysée Montmartre, avant que la salle ne soit rénovée, et nous devions être 500 à 600 chanceux à être présents. Neil Young était monté sur scène, seul, avait branché sa Martin sur son ampli et nous avait offert 17 chansons en majorité tirées de l’album « Freedom » qui venait de sortir. Ce concert laissa une marque indélébile aux heureux participants qui, à partir de là, ne manquèrent certainement plus une occasion de le voir pour des prestations toujours différentes, mais pleines d’émotion.
Peut-on expliquer la popularité, toujours croissante, de cet artiste né en 1945 à Toronto ?
Bien entendu, cette liste sera contestée, mais il faut prendre des risques dans la vie !
Il est membre de la bande des 4 qui ont renouvelé la musique folk dès les années 60 avec Bob Dylan, Leonard Cohen et Joni Mitchell (merci le Canada !). Tous unis par l’amour sans limites de la mélodie, des mots et de l’engagement, ils ont transformé la musique de la fin du XXe siècle et influencent les artistes actuels. L’américain a eu le prix Nobel de littérature, mais, en fait, ils le méritaient tous les quatre tant leur marque est universelle.
Dès 1966, lorsqu’il rejoint Buffalo Springfield où officiait déjà Steve Stills, le groupe connut son premier succès avec « For What it’s Worth », composé par Stills, en soutien aux jeunes qui manifestaient contre la guerre au Vietnam. Cette chanson est devenue intemporelle et fait toujours réagir dans les concerts. En 1967, sortait « Buffalo Springfield Again » avec le magnifique « Expecting to Fly » dans lequel il abordait de façon très personnelle le sujet de la séparation.
« I tried so hard to stand
J’ai essayé si fort de tenir debout
As I stumbled and fell to the ground.
Alors que je trébuchais et tombais au sol.
So hard to laugh as I fumbled
Si difficile de rire alors que je tâtonnais
And reached for the love I found,
Et cherchais l’amour que j’avais trouvé,
Knowin’ it was gone.
Sachant qu’il était parti. »
Trois ans plus tard, le 4 mai, quatre jeunes étudiants qui manifestaient pacifiquement contre la guerre du Vietnam furent tués par la Garde Nationale sur le campus de l’Université de Kent dans l’Ohio. Le lendemain, il composait et enregistrait avec Crosby, Stills et Nash « Ohio », un cri de douleur électrique devenu un hymne anti-guerre. « La chanson mentionnait des noms, pointait du doigt les responsables. Elle citait ouvertement Richard Nixon », rappelait Crosby.
En 2006, il réitéra avec « Let’s Impeach the President » dans l’album très politique « Living with War » où il appelait à la destitution de George W. Bush, jugé responsable de la guerre d’Irak.
Lors du concert de Graham Nash au Casino de Paris, en 2023, on l’avait trouvé désenchanté en regardant vers son passé. Ce n’est pas du tout le cas pour Neil, qui ne manque pas une injustice pour laquelle se lever et alerter.
Que ce soit avec Buffalo Springfield, dans sa carrière solo ou avec Crosby Stills et Nash, il a aussi montré son engagement pour de nombreuses causes :
On pourrait penser qu’avec toutes ces causes à défendre, toutes ces passions à assouvir, il lui resterait peu de temps pour la musique. Avec à peu près cinquante-deux albums plus des compilations, plus des B.O. de films, plus une grande quantité de live et les participations à des groupes (en tout 122 disques… ou plus), Young est un des artistes les plus prolifiques de sa génération, un peu derrière Johnny Cash et Elvis. Et, bien sûr, il y a du bon et du moins bon. « Je suis convaincu que ce qui se vend et ce que je fais sont deux choses complètement différentes. C’est une coïncidence si elles se rencontrent », explique-t-il. On peut admettre qu’elle s’est produite souvent. Entre autres, « Harvest » s’est vendu à plus de 13 millions d’exemplaires.
Du folk le plus pur dans « After the Goldrush » ou « Harvest » au grunge, dont on lui attribue la paternité, avec « Ragged Glory » ou « Mirror Ball » en passant par le soul avec Booker T and the MG’s dans « Are You Passionate? », il a toujours surpris son public qui a continué à le suivre, où qu’il aille.
« « Heart of Gold » m’a propulsé sur l’autoroute. Voyager ainsi m’a gonflé, alors je me suis déporté dans le fossé », résume-t-il.
Le Loner est bien parti pour nous étonner encore longtemps.
Il faisait très chaud ce dimanche soir, ce qui n’empêchait pas la foule, en grande partie américaine, d’attendre patiemment depuis midi pour entrer dans la salle de l’Adidas Arena, fort heureusement bien climatisée. Seule petite ombre au tableau : la bouteille d’eau à 9€. Neil Young a interdit les places Platinum, mais il n’a pas contrôlé le prix de l’eau. C’était en fait la seule date de la tournée européenne dans une salle, toutes les autres dates se déroulant en extérieur.
Les 9000 personnes du public étaient très disparates : des fans de la première heure aux jeunes en passant par des familles entières prouvaient que le Loner avait traversé les générations. Ce n’était pas uniquement l’artiste qu’ils étaient venus applaudir, mais aussi le fighter infatigable.
Et l’ovation pleine d’émotion dont il bénéficia dès son entrée montra que pour tous, le voir était un événement rare. D’autant qu’il n’a « obtenu la f*cking nationalité américaine » qu’en 2020, risquant un peu moins d’être refoulé à son retour par son « ami » Donald.
Il se présenta sur scène, après une demi-heure de retard sans conséquences pour le public, portant sa tenue de chauffeur de train du siècle dernier, qu’il a rendue célèbre dans le film « Coastal » de son épouse. Il brancha sa vieille « Old Black » de 1953, une Gibson Les Paul trafiquée et repeinte en noir qui fait la couverture de son dernier album « Talkin To The Trees », et le train quitta la gare.
Il était accompagné de son nouveau groupe, les Chrome Hearts, comprenant de l’organiste légendaire Spooner Oldham, du guitariste Micah Nelson et de la section rythmique de Promise of the Real, composée du bassiste Corey McCormick et de l’impressionnant batteur Anthony LoGerfo.
Et la magie opéra dès « Ambulance blues » grâce à son caractéristique son de guitare saturé avec un maximum de reverb et une voix tenant bien les aigus, même si elle n’est plus aussi limpide. On a le sentiment que la formation qui l’accompagne lui donne une seconde jeunesse sur scène et un réel plaisir à improviser.
Après un « Cowgirl in the Sand » tout aussi électrique, il enchaîna immédiatement avec « Be the Rain » de l’album méconnu (mais il y en a tant) « Greendale » de 2020 et la machine accéléra avec des solos de guitare faisant hurler le public. Il y utilisa une sorte de porte-voix électronique avec un support futuriste digne des inventions bizarres qu’il adore.
Le concert se déroula dans cette ambiance rock électrique, même s’il y eut le petit intermède folk/émotion avec « The Needle and the Damage Done » et « Harvest Moon » complétés par un guilleret « Daddy Went Walkin’ » de l’album « Silver & Gold ». On eut le sentiment que cette partie fut un passage obligé tant le reste du concert nageait dans une homogénéité rock endiablée.
Son contact avec le public se résuma à quatre « How are you up there ? » pour bien vérifier qu’on était encore là et sans attendre de réponse il embrayait sur le morceau suivant. De toute façon, les fans n’étaient pas venus ici pour l’entendre parler et cela tombait bien.
Il fit deux clins d’œil à sa période Crosby, Stills Nash and Young avec « Looking Forward » et « Name of Love ». Pour ce dernier, il s’installa à l’harmonium devenu célèbre grâce au film « Coastal », faisant résonner un son anachronique qu’il affectionne.
Autre fantaisie : lors de la chanson « Like a Hurricane » de l’album déroutant « American Stars N’Bars », un orgue descendit du « ciel » déguisé en ange, dans un style artistique très cher à l’artiste, et Micah Nelson se mit à le balancer en en jouant. Ce fut un instant « mystique ».
Après environs deux heures d’un concert mené tambours battants, Neil revint pour un rappel avec « Hey Hey, My My (Into the Black) » où la salle se joignit à lui pour la chanter sans qu’il n’ait à le lui demander. À la fin du morceau, toutes les cordes de sa guitare avaient explosé. Quel final rock’n’roll !
Ce concert ne fut pas musicalement le meilleur du Loner, mais le public n’était pas venu que pour écouter sa musique. Sa personnalité, sa façon de vivre, l’importance qu’il donne à sa famille et ses positions politiques font de lui un exemple. Il ne baisse pas les bras et ne le fera jamais que ce soit pour la musique ou pour ses idées. Et le public était présent pour lui prouver son soutien.
Tout comme un McCartney qui vient d’annoncer dix-neuf nouvelles dates aux États-Unis, la scène lui apporte une vitalité et une joie qu’il communique au public et il le fera encore longtemps, pour notre plus grand plaisir.
Photos : Yves Braka
Les Albums à écouter: After The Gold Rush ; Tonight’s the Night ; Zuma ; Harvest.