Lundi 24 novembre 2025, la Sacem a organisé sa grande cérémonie annuelle au théâtre des Folies Bergère. Une soirée où, malgré quelques déceptions dans le choix des prix, le groove lumineux et impressionnant de Sophye Soliveau, l’élégance discrète d’Alain Chamfort et l’énergie rock de Jean-Louis Aubert ont su réconcilier le public avec l’essentiel : célébrer la musique et ceux qui la font vivre.
À la tête de la Sacem, la directrice générale Cécile Rap-Veber, élégance posée et sincérité nette, ouvre la cérémonie. Son discours, engagé sans esbroufe, rappelle que dans le chaos du monde, la musique reste une force, un miroir, une utopie en action. « Quel est ce monde ? » interroge-t-elle plusieurs fois . Avec conviction, elle énonce des vérités qui, sous leur apparente évidence, résonnent comme des coups de gong : 26 hommes détiennent la moitié des richesses mondiales, les territoires ruraux manquent cruellement de musique live, l’écologie menace, tout comme l’intelligence artificielle, cette puissance absurde qui, si elle est mal consommée, pourrait déshumaniser l’art. Mais ce n’est pas un constat désabusé : c’est un appel au dialogue, à refuser les boycotts, à rejeter les replis, à construire. La musique, insiste-t-elle, n’est pas qu’une échappatoire – c’est une responsabilité, une manière d’embellir notre vivre ensemble sans fuir son rôle dans le réel. Et là où les paroles parfois trahissent, là où les gestes esquivent, elle place la musique comme ce qui permet encore de regarder le monde en face et de faire danser les cœurs.
Jérôme Rebotier ouvre le bal avec délicatesse. Compositeur de la musique du film Le Comte de Monte-Cristo,il reçoit le prix de la musique pour l’image avec une pièce réarrangée pour quintet à cordes. Beau moment , maîtrisé, sans excès. À 99 ans, la franco-américaine Betsy Jolas, n’a pu être présente pour recevoir le Grand Prix de la musique classique et contemporaine. Mais son aura, intacte, traversait la salle d’un respect indéniable. Et puis, il y a Edith Fambuena. Touchante, à la limite des larmes, elle prend le prix de la chanson française comme une reconnaissance, un juste retour pour ses mélodies sculptées avec le coeur. Mais c’est Sophye Soliveau qui cueille vraiment la soirée : chanteuse et harpiste, elle décroche le Grand Prix du jazz et fait chavirer la salle. Sa voix , ses silences, son groove, sa harpe, son contrôle du rythme : elle donne tout et garde en réserve juste ce qu’il faut de mystère. La poésie en personne.
Hommage appuyé à Alain Chamfort, discret et timide, Prix spécial de la Sacem, qui revisite quelques-unes de ses chansons avec une délicatesse qui ne vieillit pas. Et pour refermer le rideau, Jean-Louis Aubert, Grand Prix de la chanson française. Charisme intact, rock endiablé, il chante « On aime comme on a été aimé » avec une sincérité qui frappe droit au cœur. Ce n’est peut-être qu’une phrase, mais tout le poids de la soirée y tient.
Grande maison du droit d’auteur, forte de ses quelque 240 000 membres, la Sacem semble vouloir dépoussiérer son image. Cette année, la soirée du Grand Prix lui a servi de tribune : renouveler les échanges, questionner la communication entre les artistes, les publics et les institutions, et adapter la création aux réalités d’un monde qui change. Une volonté saluée, tant il devient essentiel d’accompagner ces mutations sans perdre de vue l’essence de l’art. Entre les discours, les messages engagés et les remerciements sincères, la soirée dépasse son rôle simplement cérémoniel pour poser une vraie réflexion : quelle est la place des artistes dans une société en perpétuelle recomposition ? Comment défendre la création face aux vents contraires de la technologie, des inégalités et des fractures culturelles ? La musique est ici un point de départ : un outil pour (re)créer du lien et continuer à faire entendre – littéralement – la voix de ceux qui composent, chantent et jouent. Une soirée délicate et hautement symbolique, dans laquelle la Sacem montre une envie certaine : celle de ne pas regarder passer l’histoire, mais d’en faire partie.
Visuel : HK